Description
Angela Lugrin écrit « la lettre impossible » à Marie Depussé. Marie Depussé a travaillé à la clinique psychiatrique de La Borde et à Paris comme psychanalyste. Elle a enseigné parallèlement la littérature à l’université Paris VII, aussi bien en milieu carcéral que dans le cadre du Daeu. Elle a publié notamment, chez P.O.L., six livres, de Dieu gît dans les détails (1993) à La nuit tombe quand elle veut (2011).
Marie Depussé a laissé des traces vives chez ses étudiants, et pas seulement chez Angela Lugrin qui l’a davantage suivie, un temps, en enseignant à ses côtés. Leur rencontre ? Angela Lugrin suit son parcours d’étudiante en lettres, mais éprouve « l’université comme la chambre mortuaire de la pensée » et vit parallèlement « énergie, amitié brutes » dans le punk-rock. Et puis il y a la voix, littéralement, de Marie Depussé. Pas seulement, mais d’abord cette chose-là, une voix, qui dit la littérature, la « parle », oscillant entre culture d’une extrême exigence et « chemins ailés », chemins buissonniers dans la pensée des textes — de la littérature, des mots. De cette rencontre inaugurale avec la voix naît celle avec une femme « si violemment belle et femme », excentrique, ou plutôt décalée, et qui depuis prend chez Angela Lugrin une place si intense, si incandescente, qu’elle doit être dite, avec ses mots à elle, Angela, et pour elle, Marie — lui « écrire est une injonction ».
Tour à tour, par petites touches, par blocs de mots et d’émotions, Angela Lugrin trace un portrait de celle qu’elle appelle, invoque, « Marie » : Marie, la littérature (ce qui rapproche les deux femmes, de prime abord, ce qui s’entend dans ce récit : la propre sensibilité de la lecture qu’enseigne Angela Lugrin) ; Marie, la folie (La Borde) ; Marie, la confidente ; Marie, la beauté ; Marie, la sœur, la fraternelle ; et surtout Marie, la mère — « je ne peux pas vous évoquer sans que l’image de la mère s’interpose », soulevant les « questions autour de la mère qui est la mienne et de celle que je suis, de la mère sans enfant que vous êtes ».
S’inscrit ainsi en creux un autre portrait, celui de celle qui écrit, qui évoque, outre ses rapports à la littérature, à sa mère, son père psychanalyste, praticien en hôpital psychiatrique (« une petite ville »), le temps de l’enfance pour elle, « cette enfance qui m’a donné des mots qui ne sont pas tout à fait les miens » et que Marie appelle donc à se réapproprier.
Marie Depussé dans son « post-scriptum » entend, « non y répondre, mais prolonger [ce livre] », non le « commenter » mais aller « vers ce qui “me tire en avant, m’interpelle” » : « Où l’effet de l’injonction s’arrête-t-il ? Il se prolonge en moi. » Et le dit magnifiquement : « cette injonction […] est une délivrance, une magnifique délivrance, pour nous deux, et, je l’espère, pour d’autres […]. Elle nous autorise à “en venir à nous-mêmes comme à ce qui n’est pas encore”. »
Notes de lecture
« Confiance, confidence, croyance, écoute, projection : il est question d’une parole qui circule dans le temps et reconstitue une temporalité en déséquilibre, un dit qui prend en charge et décharge la violence, les violences. Renoncer à la provocation tout en accédant à l’intensité d’une vie que n’oublie jamais la contestation. […] ce “Marie” cache et révèle Angela, de même que la voix écrite d’Angela réveille les voix de Marie, voix doubles qui parcourent l’oral et l’écrit, renversant la hiérarchie platonicienne selon laquelle le second n’imiterait que bien pauvrement et dangereusement le premier. […] Livre destiné, destination du livre. On écrit toujours pour quelqu’un, et le miracle, ici, fait que chaque lecteur s’appelle, d’une certaine façon, Marie, que chaque destinataire se révèle Angela. La lettre donne naissance au livre, la voix conduit au texte, l’hommage mène au récit : nos mères ne sont pas toujours celles qu’on croit, nos filles sont parfois insues. Elles se ressouviennent d’un savoir et d’une beauté oubliés, à rebours du mouvement selon lequel la transmission apporterait du neuf et de l’inédit. »
Anne Malaprade, Poezibao, 25 juillet 2014« La réflexion est en permanence au centre de cette lettre qui se transforme en premier livre. Elle invite au dialogue, y compris avec soi-même. Angela Lugrin dit, au fil des pages, qui elle est, sans jamais s’appesantir. Il y a ses joies, ses échecs, son travail, sa musique punk, ses filles mais surtout cette quête d’un bien-être qui passe par la relation aux autres et dans laquelle la présence rassurante de Marie Depussé est essentielle. »
Jacques Josse, Remue.net, 29 juillet 2014