In/​Fractus

Auteure
Angela Lugrin
Récit
142 pages, 14 x 20 cm
Parution : juin 2019

Publié avec le soutien de la région Bretagne

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 18,00

ISBN  978-2-490385-04-1 Catégorie 

Description

« Le mot “infrac­tus”, ce mot des pauvres, des illet­trés, des apeu­rés, je veux qu’il soit un mot puis­sant et vigou­reux comme un cheva­lier, dési­gnant le senti­ment d’être brisé du dedans, d’être vapo­reux et en lambeaux, sans base distincte. » Ce mot qui surgit à l’annonce de l’infarctus de son frère, Angela Lugrin s’en empare comme d’un « lieu-​caverne » sur les parois duquel se profile l’ombre de leur lien de frère et sœur.
Si son frère se méfie des mots, Angela Lugrin sent au contraire qu’en ce moment de fracas elle doit de toute urgence écrire, faire battre le cœur de leur « amour indé­fec­tible », pulser leur « langue commune » et réani­mer… les vacances, les voyages, les fous rires, les parents, leur groupe punk, leur tendresse pour les bas-​côtés et ceux qui y trouvent refuge. Ce recours à l’écriture est bercé par les livres témoins, par les mots de Racine, Duras, Quignard, Rous­seau ou Bonne­foy qui, l’auteure le sait, portent et tiennent debout celui qui chancelle.
Angela Lugrin nous fait entendre ici une nouvelle fois la puis­sance de l’écriture et de la litté­ra­ture qui savent, parfois, border l’innommable quand il fait effrac­tion dans notre réalité quotidienne.

Notes de lecture

« Infarc­tus — mot latin et terme savant pour dire angine de poitrine. Infrac­tus, néolo­gisme d’inspiration latine d’un emploi popu­laire pour expri­mer combien l’effraction du réel nous brise aussi inté­rieu­re­ment, et fait surgir des souve­nirs enfouis dans la mémoire du corps, véri­table biblio­thèque intime d’images puzzle. Ici, c’est l’accident cardiaque de son frère qui vient boule­ver­ser le cours d’une jour­née d’Angela Lugrin. Une artère bouchée dans le corps du frère méde­cin, et c’est tout le réel qui s’emballe : un passé frag­men­taire réap­pa­raît, faisant dévier la flèche tempo­relle du quoti­dien. Angela Lugrin narre une autre « jour­née parti­cu­lière » que celle du drame d’Ettore Scola : elle est scan­dée par trente-​et-​une vignettes qui racontent “vingt-​quatre heures de la vie d’une femme”, ou plutôt des vies d’une femme, tour à tour sœur, mère, fille de, belle-​sœur, ensei­gnante, adoles­cente voya­geuse, barou­deuse, enfant turbu­lente, chan­teuse, contem­pla­trice ou encore lectrice. La première vignette s’ouvre, à 6h30, sur l’annonce de l’infarctus du frère tant aimé. La dernière signale qu’un tour du cadran a bien été accom­pli, et que la vie tendue vers le futur peut se déployer : il est de nouveau 6h30, mais cette fois “C’est une belle jour­née qui commence” et un très beau livre qui s’achève.
La langue d’Angela Lugrin est magni­fique, simple et posée, ténue et affir­mée, comme sont magni­fiques les person­nages dont elle esquisse les traits, les gestes, les épreuves et les parcours. Le père, la mère, les grands-​parents, les premiers amants, le compa­gnon, les élèves, les collègues, les enfants : autant d’êtres qui, malme­nés ou broyés par la vie, sont touchés par une forme de grâce qui n’a rien de reli­gieux ni de trans­cen­dant. Êtres exem­plaires dont les maladresses, les failles et les bles­sures, les volon­tés plus ou moins bles­sées n’enferment pour­tant jamais dans un statut de victime ou de bouc-​émissaire. La souf­france et les échecs, la mala­die mentale et la toxi­co­ma­nie, la soli­tude et la margi­na­lité, le travail et l’usure, la soli­tude et les choix radi­caux déter­minent, certes, mais n’enferment ni ne figent ces admi­rables vies minus­cules. Tous ont un tel désir de liberté, et se carac­té­risent par un déter­mi­na­tion à ce point affir­mée qu’ils réus­sissent à faire de leur exis­tence une expé­rience parfois effarante-​effrayante, mais toujours unique : un diamant noir et arti­sa­nal, une créa­tion noire et néces­saire qui témoigne d’une dignité que rien ni personne ne peut le leur voler. »
Anne Mala­prade, Sitau​dis​.fr, 24 juin 2019

« 6h30, un appel télé­pho­nique, le frère, un infarctus. […]
Des mots pour dire le temps, les espaces contras­tés des senti­ments et des rela­tions, “Un vieux rêve doulou­reux refait surface”, des vocables aux beaux atours pour masquer les mauvaises odeurs, un infarc­tus qui fait face, “un mot bossu, décalé, maladroit”, l’enfance, la parole des démuni·es, la musique, le quin­tette à cordes de Schu­bert, “le violon­celle qui dit ce qui est bon et ce qui ne l’est pas”, le temps et ses heures, la frater­nité explo­sive, le cri du dedans… […]
Les heures du jour et les inscrip­tions au passé-​présent, Angela Lugrin, dans une certaine urgence, nous fait fris­son­ner sur l’instant du “fracas”. Ce qui est et ce qui fût mais n’est jamais tota­le­ment effacé, “L’enfance est main­te­nant loin derrière nous, disons, qu’elle est entre nous”, l’improbable, Venise et une île pour les mort·es, l’“être en chemin”, des lieux de l’enfance, les amours infor­melles, les bles­sures qui rendent “invin­cible”, les larmes étranges qui montent parfois, la couleur des feuilles d’automne, les “gamin fée” et celleux n’osant pas deve­nir, les silences et certaines soli­tudes, Phèdre, “la fami­lia­rité triste que beau­coup de femmes entre­tiennent avec lui, je veux dire, le Soleil”…
Le bateau ivre, “la noir­ceur du fleuve fou sur lequel il tangue, sa beauté aussi”, la pêche et les études de méde­cine, des rimes et des nuits indiennes, le refus des clichés “virils”, une gifle, “C’est dans la fureur que ma mère tente de piéger sa douleur”, le grand-​père et la graphie, le parfum de la ligne, les petits télé­phones, la couleur du chagrin, Le Voyage au bout de la nuit, un livre impor­tant (mais comment taire cet écri­vain infâme, cet homme abject, ce salo­pard dans le minuit du siècle), l’interrogation sur un “fichu déter­mi­nant”, San Michele, d’autres livres, une phrase pour “ceux qui n’ont pas peur des voyages”…
Vingt-​quatre heures d’une femme. Un autre jour se lève, “C’est une belle jour­née qui commence”. »
Didier Epsz­tajn, « Le temps de vingt-​quatre heures », Entre les lignes entre les mots, 5 juillet 2019

« Consti­tué d’une tren­taine d’étapes, de moments vécus comme les stations d’un chemin de rémi­nis­cence et de réflexion, In/​Fractus est un hymne dont l’ambition est la révé­la­tion, l’annonce “urbi et orbi”, d’un amour entre sœur et frère pensé comme la pierre angu­laire de l’équilibre psycho-​affectif sur lequel l’auteure s’est construite depuis l’enfance. […]
Au fil des souve­nirs, au gré des asso­cia­tions d’idées, dans un style d’apparence très simple mais profon­dé­ment travaillé, poli, serti, Angela Lugrin écrit en son nom person­nel. C’est un exemple abouti de ce qu’on nomme «“l’écriture de soi” ou “l’écriture de l’intime”. Elle “s’écrit” , selon le néolo­gisme qu’elle impose. De manière impu­dique, mais non sans pudeur, elle trans­mue en “écrit” sa vie de tous les jours, ses rela­tions avec sa famille, ses deux filles, ses parents, son mari et ses élèves. Elle en profite pour confes­ser ce qu’elle est, ce qu’elle pense, aime et déteste, ce qui consti­tue son système de valeurs, ses goûts, sa culture, ses senti­ments et ses jugements. […]
De confi­dence en confes­sion, la narra­trice ne laisse rien de côté. Toute sa vie est ques­tion­née, jaugée, évaluée. Ses écri­vains favo­ris (entre autres, au fil des pages et des souve­nirs, Rimbaud, Michel de Ghel­de­rode, Molière, Cala­ferte, Racine, Duras, Rous­seau, Bonne­foy, Bataille, Céline…), dont elle s’est nour­rie, sont convo­qués comme compa­gnons de route et témoins de ce qu’elle accepte ou repousse mais aussi de ce qu’elle ressent et comprend de la vie.
C’est un livre surpre­nant, atta­chant, qui frappe fort, ques­tionne le lecteur, entrouvre des portes et débride la pensée. Mais c’est, avant tout, un hymne émou­vant à l’amour fraternel. »
Jean-​Pierre Loge­reau, « Hic et punk », En atten­dant Nadeau, 17 décembre 2019

« Circu­lant dans le passé, l’entremêlant, au fil des heures, à son présent inquiet, ce sont égale­ment les êtres qui l’attirent qui surgissent. Tous ont des parcours assez cabos­sés mais ce sont eux, et pas les autres, qui lui trans­mettent un peu de leur colère et de leur éner­gie. Il y a là Stick , le punk des rues, “défoncé et rigo­lard”, qui assiste aux concerts du groupe de punk-​rock qu’elle a formé avec son frère. Ou Bahiya, la jeune noire, toute en révolte, qui a donné du fil à retordre à l’enseignante qu’elle est. Ou encore, sur l’île, le chauf­feur de l’estafette blanche aux bras pique­tés de trous noirs à cause des seringues qui s’y sont enfon­cées. D’autres se joignent à eux pour taper à la porte de ses souve­nirs. Son père, sa mère, ses grands-​parents, son mari, tous se donnent rendez-​vous en ce jour où l’infarctus a frappé. […]
Pour répa­rer ce dedans qui se lézarde passa­gè­re­ment, Angela Lugrin convoque, en plus de ses souve­nirs, ses livres et ses auteurs de prédi­lec­tion. Ils sont divers et nombreux. Elle parle d’eux avec enthou­siasme et émotion et explique avec clarté, en une écri­ture souple et assu­rée, ce qui, dans leurs textes, à travers les person­nages mis en scène, la touche en l’aidant à recoudre certaines plaies et à bien saisir, mieux comprendre, la complexité des êtres et de leurs vies fragiles. »
Jacques Josse, Remue​.net, 9 décembre 2019