Description
C’est avec beaucoup d’humour que Jean-Pascal Dubost entame ses Fantasqueries en les désignant comme un « livre raté », preuves à l’appui, tempérant son autocritique en ajoutant que c’est aussi un « petit désastre jubilatoire », « hirsute »… Humour et jubilation. Maîtres-mots de l’histoire, qui seraient pourtant réducteurs si l’on ne rajoutait une immense culture littéraire… et ce n’est pas tout.
Entre prologue (en quoi le livre est raté) et épilogue (liminaire du livre non raté…), Fantasqueries offre douze textes dont le premier et le dernier, « Poésie-Ho » et « Poésie-Ha » forment aussi une boucle, l’un fait uniquement d’expressions toutes faites affirmant que la poésie « est une autre paire de manches qui oblige à mettre la main à la pâte », l’autre en alignant des définitions, qu’il faudrait toutes reprendre pour tenter de circonscrire ce qu’est l’art de Jean-Pascal Dubost, mais que l’on pourrait résumer par : « une outrance de langue et de langage », « de la débauche d’énergie », « une arme de combat » « inactuelle » qui « a tous les droits » et « nuit gravement à la bêtise ».
Tous ces poèmes (« blocs » pour la majorité, hormis deux en vers libres, du moins non justifiés) – autant de fantaisies, caprices, baroquismes, pour reprendre les mots de l’auteur – sont assemblés, cousus entre eux par de courtes phrases intermédiaires qui permettent au lecteur de reprendre son souffle, tout en revenant sur le précédent et annonçant le suivant – encore que leur succession en elle-même soit loin d’être gratuite, tant l’un semble appeler l’autre.
Chacune de ces fantaisies correspond à une figure de style, à tout le moins un exercice de style – hapax, euphémismes, entretissage, mots-outils… : « Bleiz le loup », auto-hagiographie entièrement écrite en ancien français ; « Sempiternel recommencement du monde », cut-up réussissant la prouesse d’obtenir un ton presque lyrique de l’emploi de termes essentiellement banals ; « Exercice lyrique », « désautobiographie » avec pourtant un gros je en 50 entrées… ; « Twingo », « ekphrasis extravagante » d’une voiture haussée au rang de « petit chef-dœuvre d’art automobile », exposition permanente, itinérante et participative, rien que ça…). Nous ne pouvons toutes les citer, mais nous finirons avec « Courage, créons », mélopée « en litanique dans le texte » pour insister sur la dimension politique de la poésie de Jean-Pascal Dubost dans sa force subversive, qui appuie ses qualités essentiellement jubilatoires – en lui laissant (son) dernier mot : « Ha. » (encore un mot qui « affole le correcteur d’orthographe word » !).
Notes de lecture
« Jean-Pascal Dubost compose ses “fanstasqueries” contre l’esprit de sérieux qui anime trop souvent la poésie. […] Du vent et du souffle, il y en a beaucoup dans ce livre qui, quoiqu’il ne soit pas très épais, a quelque chose de monstrueux, au sens où la langue dans son boursoufflé même révèle la part de vide et de vent qui habite chacun. […]
C’est avec une science jubilatoire, fort d’un haut sçavoir, qu’il prélève allègrement dans les différents niveaux et couches historiques de la langue, voguant sans vergogne d’archaïsmes en emprunts à la novlangue ou à la langue de bois technocratique, procédant par réemplois de mots de l’ancien français et par cut-up de propos journalistiques formatés. Ce mélange monstrueux des registres lui donne l’occasion d’une belle et drolatique “chevauchée fatrasique” où rien ne tient plus qu’essoufflé, hors d’haleine, son écriture farcie et farcesque fourmillant d’intertextualité et de références les plus diverses. Il fait appel […] à tous les mots gelés qu’il s’agit de réchauffer à l’étuvée dans la promiscuité excitée du poème afin de les faire suer, de leur faire rendre leur eau. Il s’agit “d’entrer sauvagement dans la culture” pour détourner la langue de son usage normé, normalisé. »
Laurent Albarracin, Poezibao, 21 décembre 2016« Il faut un goût certain pour la provocation, et autant de mauvaise foi que d’humour, pour affirmer d’entrée : “fantasqueries est considéré par son auteur comme un livre raté.” Jean-Pascal Dubost s’en explique dans deux textes, au début et à la fin de l’ouvrage : ce livre n’est pas réussi puisqu’il ne correspond pas au cahier des charges prévu. “Tous les poèmes eussent dû être d’une très longue soufflée, point n’est le cas”, et accompagnés d’annotations diverses pour la lecture publique, qui sont absentes. […] On a souvent relevé l’aspect savant, lettré de l’écriture de Jean-Pascal Dubost, et c’est vrai qu’il y a chez lui un désir de mettre le langage dans tous ses états, dans une sorte de débauche joueuse et jubilatoire, aussi bien historiquement que dans l’épaisseur, le feuilletage multiple et actuel de la langue. Ce livre ne fait pas exception sur ce point. Mais ne voir que cet aspect serait passer sous silence la présence aussi forte d’un héritage “beat” (Ginsberg ou Kerouac par exemple), présence nettement marquée par l’importance donnée au souffle, “considéré comme pensée vivante de l’écriture en mouvement autant qu’élément d’écriture, de diction et de tension narrative continue”. “La forme souffle-phrase-bloc mime du vif” ; le “spiropoème” “fera entendre une capacité à respirer le monde”. […] Les poèmes qui composent ce livre, une douzaine, sont des proses longues, parfois séquencées, parfois d’un seul tenant ; mais chacun est fortement vertébré par un “principe prédéterminé”, souvent un lanceur-thème ou groupe de mots qui se développe ensuite par reprises selon un art consommé de l’arabesque, de la variation, de la volute, avec un goût autant marqué pour l’enchaînement et l’accumulation que pour le coq-à‑l’âne et le court-circuit. À la fin de chaque poème, une page conclut avec deux ou trois fragments qui donnent de façon éclatée un art poétique mais sur un ton alternant le sérieux et l’humour. Difficile de tailler pour le citer dans la texture serrée, “soufflée”, du poème de Dubost ; il faudra que le lecteur aille lire. Mais on aura compris que ce livre, sous son titre léger, mérite le détour et le retour tant cette poésie s’affirme inventive et vivante “dans sa quasi fantaisie discordante”. “Ça ne ressemble à rien, ça me ressemble.” Belle et fière devise pour un poète, non ? »
Antoine Emaz, Décharge, n° 173, mars 2017« On peut réserver son voyage et s’installer tranquillement dans le train de l’écriture en sachant où l’on va et à quelle heure on arrive, avec pour seul risque un retard en mots. Jean-Pascal Dubost n’est pas de ceux-là. Ce qu’il aime, c’est la forêt inextricable de la langue, là où l’on peut encore se perdre ou trébucher sur une racine, dans tous les sens du mot “racine”, où l’on peut se déchirer la pensée à quelques ronces, voire se la mettre en lambeaux. Son dernier livre, Fantasqueries, publié aux éditions isabelle sauvage, nous entraîne dans ce qu’il appelle lui-même “un petit désastre jubilatoire” où prévaut l’oral, avec tous les écarts qu’il permet, sur l’écrit. Sa poésie est celle d’un loup dans la bergerie du langage.
[…] en s’identifiant symboliquement à Bleiz, Jean-Pascal Dubost devient le narrateur de cette parole sauvage — de ce Merlin —, que chacun porte en lui et qui ne nous appartient pas, qui nous traverse en meute, furtivement et à vive allure.
Il compte sur le rien, le “personne”, pour porter toutes “les fictions du monde”, comme Pessoa en portait tous les rêves. Tout alors devient possible dans la langue et l’auteur ne s’en prive pas. Qu’il nous livre son autobiographie, qu’il critique sur un mode dérisoire les informations dont nous accablent les médias, qu’il aille faire ses courses, qu’il évoque dans ce qu’il appelle un “entretissage” le livre de Valère Novarina, Le Vrai Sang, il y a toujours ce fil narratoire — du poil de loup gris — qui passe d’un texte à l’autre et qui les coud à l’hirsute. »
Alain Roussel, « Jean-Pascal Dubost : un loup dans la bergerie de la langue », Alainroussel.blogspot.fr, 10 avril 2017« Pour mieux comprendre ces Fantasqueries, il faut citer Raoul Hausmann – comme le fait l’auteur en début d’ouvrage – : Elle montre les reflets de la vie changeante, incertaine, monstrueuse, outrancière. Le monstrueux et l’impensable, c’est cela la poésie !
Avant d’entamer la lecture, Jean-Pascal Dubost nous prévient dans un “Avis” que son ouvrage est un livre raté. Tout comme le Au lecteur de Charles Baudelaire, cet avis présente et ouvre ce recueil. Il donne une définition de la poésie qui est une autre paire de manches qui oblige à mettre la main à la pâte et explique l’importance de lire ces poèmes à haute voix. Lire à haute voix les spiropoèmes, c’est physiquer l’écriture par l’essoufflement. Puis, il termine par un : Lecteur, phrasez à haute voix.
Même si l’auteur affirme que son livre est raté, il réussit à en faire “une boucle” ; le lecteur part d’un point précis pour, une fois la lecture achevée, y revenir. Deux façons d’y arriver. Par le prologue qui explique en quoi le livre est un petit désastre jubilatoire et qui s’achève sur l’épilogue ce qui était prévu. À l’intérieur on trouve douze poèmes. Le premier Poésie-ho en passant par Sempiternel recommencement du monde, Ridiculités précieuses et enfin Poésie-ha. La boucle est ainsi bouclée. »
Alexandre Ponsart, CCP – Cahier critique de poésie, # 34 – 1, 12 mai 2017« Parmi les poètes de ce temps, il est des rares qui se tiennent avec autant de prestance au crucial carrefour des langues à l’intérieur de la langue, il expérimente, sans jamais s’abandonner pour rien à la forme ; la poésie est véhicule avant tout, non pas destination, Jean-Pascal Dubost ne saurait l’oublier.
Il puise aussi bien dans le parlé ancien que dans les modes exotiques ou les arrangements récents, il reprend et reconforme des tournures amnésiées, il scinde, néologise, scande, rythme, met en bouche avec un sourire qui parfois grince, mais vraiment sans se foutre du monde (d’autres s’en chargent par ailleurs). Grand avaleur de sons et de sens, Jean-Pascal Dubost nous redonne dans son écriture des reflets d’aujourd’hui, ni enfermé ni déconnecté ; homme du recueillement, c’est aussi bien un poète dans la cité, exemplaire d’efficacité, d’implication. […]
Avec Fantasqueries, que l’auteur nous annonce d’emblée comme un livre raté, il s’agit cette fois aussi, c’est le cas au moins depuis plusieurs livres, je crois, d’un assemblage de textes, de fragments, de tentatives, et non pas d’un habituel recueil de poèmes où s’enchaîneraient des blocs égaux ou pas, selon un ordre calculé. Cet aspect chantier donne une vivacité au livre, on y est toujours dans un devenir, dans une potentialité, une fois de plus l’écriture de Jean-Pascal Dubost fortifie et entraîne avec elle. Elle est un dire autant qu’une forme. »
Jean-Claude Leroy, « En première ligne, Jean-Pascal Dubost, poète
“épistémophilique” ! », Blogs. Mediapart, 22 juillet 2017« Un petit recueil d’une dizaine de “poèmes en bloc” dont chacun est fait pour être soufflé à haute voix selon la méthode “spirométrique” explicitée en avant et amont, re-prenant/-donnant souffle au suivant. Tirades logho-rythmiques tout en figures de style, néologismes, jeux de mots, détournements, cut-up, citations, dictons et expressions populaires assemblés à grand contre-/ren-fort de tournures anciennes, antiques et médiévales et colorés d’un(e) verb(/v)e aux accents celtiques et rabelaisiens.
Edits et dits écrits hypertextuels, manifestes fantas(ti)ques et foutraques – “principe de l’instantané cumulatif” – autour desquels rodent des fragments plus petits à la manière de marginalia, qui tiennent de l’affable et de la fable, de l’affamé loup tapi qui surgit, surjoue, se joue de tout, de nous, de lui-même avant tout.
Loin de l’esprit resserré de sérieux, lucide et ludique, sincère jusqu’à l’intime, marqué par une volonté “autotélique” – “Je suis un orage individuel, une tempête learienne” – poétique – “le rythme sauve de la pensée pauvre, est pensée filante, le laisser se bâtir seul et en même temps tenir la trame des fils blancs” – et politique – “car chaque jour est une consternation sans aucun mot de passe” – Jean-Pascal Dubost, auteur d’une vingtaine d’ouvrages et notamment à l’origine et au cœur de l’association Dixit Poétic et du festival Et Dire Et Ouïssance – déroule ici thèmes et anthèmes avec “folle somme de lire, lyriquement monstre” (au sein de laquelle Leopoldo María Panero ou encore Valère Novarina) en une manière d’“entretissage” qui se déploie dans et arpente maintes et maintes direction et dimensions pour former la matière d’une poli-anthologie, d’un florilège qui éclot sur la feuille noircie et pétille sous une langue fleurie. »
Éric Darsan, Poezibao, 1er décembre 2017« C’est un poète qui vit le mot chaud dans sa forêt musicale. Une forêt au milieu du monde dont il ne fait pas oubli “/ à qui voudra comprendre”. Les mots chez Jean-Pascal Dubost tombent se redressent s’alignent se répondent désordonnent jouent sourient s’assombrissent croient provoquent et surtout fantasquent. Lui avec eux. “je suis toujours déjà quelqu’un d’autre aussitôt que je m’annonce ; le captatif de toutes les paroles de votre bas monde ; mais cy prend fin ce poème-monologué dans lequel je compte vous avoir égaré dans les sinuosités circulaires de ma complexité non légendaire pourtant multiséculaire, car, si comme moi jel vous dis, en ce joyeux temps du jour d’uy, Merlin, c’est moi ; Bleiz c’est moi ; Jean-Pascal Dubost, c’est moi –”
Un “livre raté” annonce l’auteur en prologue qui nuance aussitôt la composition de ces douze textes réunis comme étant “un petit désastre jubilatoire” nommé Fantasqueries. De l’humour qui s’installe dans la densité, avec des blocs de texte liés par le fil à couture de courtes phrases respiratoires. Poète mais aussi être au monde, Jean-Pascal Dubost bouscule les mots comme s’il voulait se protéger du mal qu’ils pourraient lui faire […]. »
Benoit Colboc, « Un petit désastre jubilatoire », lundioumardi, 20 octobre 2020