ATTENDU QUE

Auteure
Layli Long Soldier
Poésie
Traduit de l’anglais (américain)
par Béatrice Machet

Titre original : WHEREAS, publié aux États-Unis par Graywolf Press, 2017
122 pages, 18 x 23 cm
Parution : octobre 2020

Publié avec le soutien du Centre national du livre et de la région Bretagne

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Voir la présentation du livre par Béatrice Machet, la traductrice

 24,00

Épuisé

ISBN  978-2-490385-10-2 Catégorie 

Description

ATTENDU QUE est une réponse, point par point, mot après mot, à la réso­lu­tion du Congrès d’avril 2009 qui formu­lait les excuses du gouver­ne­ment améri­cain aux Indiens, quali­fiée bien crâne­ment de « récon­ci­lia­tion histo­rique » mais passée inaper­çue… et restée lettre morte.
Layli Long Soldier inter­roge ici jusqu’à l’inanité même de la notion d’excuses : s’il est primor­dial que l’État fédé­ral recon­naisse ses actes envers les tribus indiennes, la « répa­ra­tion » ne dépend pas, n’a jamais dépendu de lui, les Indiens n’ont pas besoin de récon­ci­lia­tion, ils sont peuples souve­rains, ont lutté et conti­nuent de lutter pour leurs droits. D’ailleurs, ces excuses sont adres­sées en anglais et il n’existe pas de mot en langue indienne pour « excuse » ou « désolé », dit l’auteure… Et c’est bien la ques­tion de la langue qui est soule­vée tout au long du livre : comment écrire dans la langue de l’occupant, parce que sa langue propre a été inter­dite, que de ce fait, « pauvre en langue », ne lui reste plus qu’à « secouer la morte ». Comment vivre aujourd’hui, de tout son être, en tant qu’Indienne, femme, mère — comment « les mots précis [de la réso­lu­tion] enclenchent les vitesses du poème en marche ».
Le livre est construit en deux parties. D’abord les « préoc­cu­pa­tions », qui sont celles de Layli Long Soldier dans sa « langa­gi­tude », poèmes du quoti­dien qui impliquent tout du corps, traversé par la terre, la lumière, où elle dit l’enfance, l’amour, la mater­nité ou l’absence, l’Histoire au présent d’un peuple colo­nisé. Dans la seconde partie, Layli Long Soldier, calquant la réso­lu­tion offi­cielle, énonce ses propres décla­ra­tions préli­mi­naires (toutes intro­duites par « ATTENDU QUE », citant et commen­tant régu­liè­re­ment le texte origi­nal) et ses « réso­lu­tions » (le texte est ici inté­gra­le­ment repris mais de façon complè­te­ment détournée).
Il en ressort une véri­table dénon­cia­tion du texte de loi, ou préci­sé­ment, comme le dit Layli Long Soldier, un « acte juri­dique à la première personne ». De façon inci­sive, litté­ra­le­ment frap­pante, la langue anglaise se retourne ainsi contre ce qu’elle repré­sente par la force subver­sive de la poésie : « Attendu que met la table. La nappe. Les salières et les assiettes. […] je suis amenée à répondre, attendu que, j’ai appris à exis­ter et ce sans votre forma­lité, salières, assiettes, nappe. »
« WHEREAS défie la construc­tion et le main­tien d’un empire en trans­for­mant la page de telle sorte qu’elle résiste à la tension d’un corps, d’un pays occu­pés et, plus préci­sé­ment, d’une langue occu­pée… » (Nata­lie Diaz, The New York Times Review)
« Variant les formes et avec une préci­sion féroce, l’écriture de Long Soldier fait grin­cer le déca­lage entre les défi­ni­tions des mots dans sa langue et en anglais… On ne glisse pas dans ce livre sur les essieux bien huilés d’une beauté facile, mais on s’écorche à vif contre le langage démem­bré en éclats étin­ce­lants… Magni­fique. » (John Free­man, Los Angeles Times)

Notes de lecture

« Faut-​il être aussi rude­ment privé de terri­toire et basculé de monde que les Indiens d’Amérique pour que la poésie s’avère comme une arme de guerre de prime pleine langue, plutôt que comme un repaire à touristes ? D’une puis­sance analogue au poing dans la bouche (2004), de Georges-​Arthur Gold­sch­midt, un juif dont la langue qui le consti­tue est celle des nazis, il peut deve­nir un livre natio­nal pour les Indiens comme l’œuvre de Joyce pour les Irlan­dais, celle de Gombro­wicz pour les Polo­nais, une réfé­rence pour tout peuple sous la botte. […]
Mais pour un peuple premier […] – avec tout ce que la notion d’art premier recèle – tout le plus prosaïque tourne au poème, celui qui arrache la gorge, toutes ses formes versi­fiées se succé­dant ici à l’emporte-pièce comme dans un champ de mines – de poésie tertiaire, énième. […]
Ici l’entre-deux langues (“Que savais-​je de notre langage sinon des bribes ?”) est un entre-​deux plaques tecto­niques, une fosse océane, un abîme dont remontent les mises en abyme vitales. De ce livre on sort descellé.
Rien n’est plus diffi­cile que de traduire d’américain en fran­çais ce qui de lakota perdu en améri­cain désin­vesti s’affiche, s’énonce comme l’intraduisible, et d’en rendre le démem­bre­ment syntaxique. Le tour de force de Béatrice Machet. »
Chris­tophe Stolo­wi­cki, Sitau­dis, 15 novembre 2020

« Le livre comprend deux volets. D’abord les “préoc­cu­pa­tions”, textes qui disent ce qu’est la vie, au jour le jour, d’une jeune femme qui écoute, observe, travaille, materne, cuisine, se cultive, résiste, pose et pense ses actes, la poésie en étant un, primor­dial et salva­teur. Celle qui s’avoue – par la force des choses et de l’Histoire – “pauvre en langue”, en impose une autre. Elle appré­hende celle de l’occupant, la façonne, saisit ses poèmes à bras le corps, les fait bouger, ne les laisse jamais en repos et ouvre un vaste champ d’investigation qui court de l’enfance à la terre, de la mater­nité au paysage, de la lumière à l’herbe ou encore du cosmos à la remémoration. […]
Poli­tiques, ses poèmes le sont forcé­ment. Mais sans slogan, sans petites phrases média­tiques, sans éléments de langage. Les faits qu’elle énonce se suffisent à eux-​mêmes. Elle appar­tient à un peuple colo­nisé que l’on a atta­qué en lui prenant ses terres, sa langue, en bafouant sa concep­tion d’être au monde, en harmo­nie avec le haut et le bas, en tuant parfois même ceux qui tentaient de résis­ter en s’organisant pour combattre les colons. »
Jacques Josse, Remue​.net, 12 décembre 2020

« La force de l’écriture de Layli Long Soldier concoure à la densité et à la profon­deur de cet Attendu que.
Parler au passé ou au présent ne dessine pas les mêmes actions, les mêmes forfaits. Le choix de la diction et des termes fait jaillir la mémoire, les crimes d’hier dans l’actualité infinie. […]
Un ouvrage à lire et à relire, à dire à haute voix, à regar­der bouleversé·e par cette mise en examen d’une histoire géno­ci­daire. Les états-​unis d’amérique du nord ne sont pas ce que le mythique récit natio­nal raconte… »
Didier Epsz­tajn, Entre les lignes entre les mots, 18 décembre 2020

« Le lecteur se retrouve immergé dans un échange, une circu­la­tion de va-​et-​vient dans la langue indienne, primi­tive. Ce mouve­ment permet aux mots de prendre une place à part de faire la part belle à l’écriture. […]
L’auteur vient prendre appui sur le vocable juri­dique “attendu que” afin de tour­ner en ridi­cule cette réso­lu­tion. […] Or, en droit, “attendu que” est l’élément d’une série desti­née à déve­lop­per l’exposé de l’affaire et se termine, avant l’énoncé du dispo­si­tif, par la formule “par ces motifs”. Chaque attendu vient énon­cer un point de fait ou de droit ainsi que, parfois, les phases de la procé­dure. Ici, l’auteur use et abuse de ces termes pour arri­ver à cette conclusion :
“Attendu que mes yeux se posent sur le litto­ral de ‘l’arrivée des Euro­péens en Amérique du Nord a ouvert un nouveau chapitre dans l’histoire des peuples premiers’. En d’autres circons­tances, je déteste l’acte.” […]
À la fin, la termi­no­lo­gie juri­dique se retourne contre elle pour lais­ser place au poème, à la poésie, à la vie. »
Alexandre Ponsart, Poezi­bao, 25 mars 2022