Description
ATTENDU QUE est une réponse, point par point, mot après mot, à la résolution du Congrès d’avril 2009 qui formulait les excuses du gouvernement américain aux Indiens, qualifiée bien crânement de « réconciliation historique » mais passée inaperçue… et restée lettre morte.
Layli Long Soldier interroge ici jusqu’à l’inanité même de la notion d’excuses : s’il est primordial que l’État fédéral reconnaisse ses actes envers les tribus indiennes, la « réparation » ne dépend pas, n’a jamais dépendu de lui, les Indiens n’ont pas besoin de réconciliation, ils sont peuples souverains, ont lutté et continuent de lutter pour leurs droits. D’ailleurs, ces excuses sont adressées en anglais et il n’existe pas de mot en langue indienne pour « excuse » ou « désolé », dit l’auteure… Et c’est bien la question de la langue qui est soulevée tout au long du livre : comment écrire dans la langue de l’occupant, parce que sa langue propre a été interdite, que de ce fait, « pauvre en langue », ne lui reste plus qu’à « secouer la morte ». Comment vivre aujourd’hui, de tout son être, en tant qu’Indienne, femme, mère — comment « les mots précis [de la résolution] enclenchent les vitesses du poème en marche ».
Le livre est construit en deux parties. D’abord les « préoccupations », qui sont celles de Layli Long Soldier dans sa « langagitude », poèmes du quotidien qui impliquent tout du corps, traversé par la terre, la lumière, où elle dit l’enfance, l’amour, la maternité ou l’absence, l’Histoire au présent d’un peuple colonisé. Dans la seconde partie, Layli Long Soldier, calquant la résolution officielle, énonce ses propres déclarations préliminaires (toutes introduites par « ATTENDU QUE », citant et commentant régulièrement le texte original) et ses « résolutions » (le texte est ici intégralement repris mais de façon complètement détournée).
Il en ressort une véritable dénonciation du texte de loi, ou précisément, comme le dit Layli Long Soldier, un « acte juridique à la première personne ». De façon incisive, littéralement frappante, la langue anglaise se retourne ainsi contre ce qu’elle représente par la force subversive de la poésie : « Attendu que met la table. La nappe. Les salières et les assiettes. […] je suis amenée à répondre, attendu que, j’ai appris à exister et ce sans votre formalité, salières, assiettes, nappe. »
« WHEREAS défie la construction et le maintien d’un empire en transformant la page de telle sorte qu’elle résiste à la tension d’un corps, d’un pays occupés et, plus précisément, d’une langue occupée… » (Natalie Diaz, The New York Times Review)
« Variant les formes et avec une précision féroce, l’écriture de Long Soldier fait grincer le décalage entre les définitions des mots dans sa langue et en anglais… On ne glisse pas dans ce livre sur les essieux bien huilés d’une beauté facile, mais on s’écorche à vif contre le langage démembré en éclats étincelants… Magnifique. » (John Freeman, Los Angeles Times)
Notes de lecture
« Faut-il être aussi rudement privé de territoire et basculé de monde que les Indiens d’Amérique pour que la poésie s’avère comme une arme de guerre de prime pleine langue, plutôt que comme un repaire à touristes ? D’une puissance analogue au poing dans la bouche (2004), de Georges-Arthur Goldschmidt, un juif dont la langue qui le constitue est celle des nazis, il peut devenir un livre national pour les Indiens comme l’œuvre de Joyce pour les Irlandais, celle de Gombrowicz pour les Polonais, une référence pour tout peuple sous la botte. […]
Mais pour un peuple premier […] – avec tout ce que la notion d’art premier recèle – tout le plus prosaïque tourne au poème, celui qui arrache la gorge, toutes ses formes versifiées se succédant ici à l’emporte-pièce comme dans un champ de mines – de poésie tertiaire, énième. […]
Ici l’entre-deux langues (“Que savais-je de notre langage sinon des bribes ?”) est un entre-deux plaques tectoniques, une fosse océane, un abîme dont remontent les mises en abyme vitales. De ce livre on sort descellé.
Rien n’est plus difficile que de traduire d’américain en français ce qui de lakota perdu en américain désinvesti s’affiche, s’énonce comme l’intraduisible, et d’en rendre le démembrement syntaxique. Le tour de force de Béatrice Machet. »
Christophe Stolowicki, Sitaudis, 15 novembre 2020« Le livre comprend deux volets. D’abord les “préoccupations”, textes qui disent ce qu’est la vie, au jour le jour, d’une jeune femme qui écoute, observe, travaille, materne, cuisine, se cultive, résiste, pose et pense ses actes, la poésie en étant un, primordial et salvateur. Celle qui s’avoue – par la force des choses et de l’Histoire – “pauvre en langue”, en impose une autre. Elle appréhende celle de l’occupant, la façonne, saisit ses poèmes à bras le corps, les fait bouger, ne les laisse jamais en repos et ouvre un vaste champ d’investigation qui court de l’enfance à la terre, de la maternité au paysage, de la lumière à l’herbe ou encore du cosmos à la remémoration. […]
Politiques, ses poèmes le sont forcément. Mais sans slogan, sans petites phrases médiatiques, sans éléments de langage. Les faits qu’elle énonce se suffisent à eux-mêmes. Elle appartient à un peuple colonisé que l’on a attaqué en lui prenant ses terres, sa langue, en bafouant sa conception d’être au monde, en harmonie avec le haut et le bas, en tuant parfois même ceux qui tentaient de résister en s’organisant pour combattre les colons. »
Jacques Josse, Remue.net, 12 décembre 2020« La force de l’écriture de Layli Long Soldier concoure à la densité et à la profondeur de cet Attendu que.
Parler au passé ou au présent ne dessine pas les mêmes actions, les mêmes forfaits. Le choix de la diction et des termes fait jaillir la mémoire, les crimes d’hier dans l’actualité infinie. […]
Un ouvrage à lire et à relire, à dire à haute voix, à regarder bouleversé·e par cette mise en examen d’une histoire génocidaire. Les états-unis d’amérique du nord ne sont pas ce que le mythique récit national raconte… »
Didier Epsztajn, Entre les lignes entre les mots, 18 décembre 2020« Le lecteur se retrouve immergé dans un échange, une circulation de va-et-vient dans la langue indienne, primitive. Ce mouvement permet aux mots de prendre une place à part de faire la part belle à l’écriture. […]
L’auteur vient prendre appui sur le vocable juridique “attendu que” afin de tourner en ridicule cette résolution. […] Or, en droit, “attendu que” est l’élément d’une série destinée à développer l’exposé de l’affaire et se termine, avant l’énoncé du dispositif, par la formule “par ces motifs”. Chaque attendu vient énoncer un point de fait ou de droit ainsi que, parfois, les phases de la procédure. Ici, l’auteur use et abuse de ces termes pour arriver à cette conclusion :
“Attendu que mes yeux se posent sur le littoral de ‘l’arrivée des Européens en Amérique du Nord a ouvert un nouveau chapitre dans l’histoire des peuples premiers’. En d’autres circonstances, je déteste l’acte.” […]
À la fin, la terminologie juridique se retourne contre elle pour laisser place au poème, à la poésie, à la vie. »
Alexandre Ponsart, Poezibao, 25 mars 2022