Intempéries

Auteurs
Jean Yves Cousseau, photographies
Éric Audinet, Tom Raworth et Sarah Clément, textes
Poésie
94 pages, 15 x 25 cm / 66 photographies, quadrichromie
Parution : novembre 2016

 25,00

ISBN  978-2-917751-70-1 Catégorie 

Description

Intem­pé­ries, projet initié au début des années 1990 en grande compli­cité entre les auteurs, n’avait fina­le­ment jamais pu voir le jour ; de courts extraits en ont paru à l’occasion de l’exposition éponyme de Jean Yves Cous­seau à Marseille, dans le Cahier du Refuge n° 17 du cipM, en 1992. Sa perti­nence, sa force font qu’aujourd’hui il semblait natu­rel de le publier dans la collec­tion « liga­tures », à peine repris, dans la même compli­cité initiale.
C’est en parfaite réso­nance que se situent les trois auteurs par rapport à la photo­gra­phie de Jean Yves Cous­seau. Si son univers forme une unité – ou conti­nuité pourrait-​on dire, tant l’artiste s’est déplacé au fil des années tout en visi­tant et revi­si­tant toujours les mêmes thèmes (des photo­gra­phies plus récentes ont rejoint les plus anciennes) –, il est ici décliné en trois séries permet­tant à chacun des auteurs de s’y immis­cer avec sa voix singu­lière. Et ce sont alors quatre voix qui alternent pour dire le mauvais temps à l’œuvre de toute vie (intem­pé­ries), mots et images suivant le même fil tout en conser­vant leur auto­no­mie ; résis­tant au temps qui ronge, à la fata­lité, à la dispa­ri­tion ; se glis­sant pour cela dans les inter­stices de tout ce qui vit, bouge, se trans­forme – jusqu’avec intem­pé­rance (abus, excès, certes, mais égale­ment liberté exces­sive, souvent asso­ciée au langage…).
Dans « Ce qui est passé par ici, qui repas­sera par là », Éric Audi­net asso­cie à une série d’images propo­sées en polyp­tyques neuf senti­ments, selon sa défi­ni­tion dans le voca­bu­laire de la chasse : « l’odeur de la bête, qui demeure après son passage ». Neuf micro-​récits sont ainsi tissés de ce qu’il reste du regard sur cette série d’images, un élément visuel, une couleur, dans son sens le plus riche – une atmo­sphère. Chacun résonne en écho, plus ou moins décalé, toujours distan­cié notam­ment par le ton du narrateur-​observateur dérou­lant de vrais/​faux souve­nirs – la plupart des textes déclinent des réfé­rences ciné­ma­to­gra­phiques ou litté­raires, de Desti­na­tion Zebra station polaire à Cassa­vetes en passant par Madame Bovary – et le Guide bleu Hachette… En point d’orgue, peut-​être, le « senti­ment du monde pas encore commencé » : fina­le­ment, « rien encore n’est arrivé ».
Comme une boutade adres­sée à Éric Audi­net, Tom Raworth inti­tule sa série « Pense un titre »… C’est sur un rythme stac­cato, un phrasé en notes déta­chées (ou « piqué »), qu’il répond aux photo­gra­phies propo­sées en diptyques cette fois, toutes rele­vant très clai­re­ment de la vanité (néga­tif rayé, carcasses de bouche­rie suspen­dues à des crochets, nu courant entre les arbres comme suspendu dans le temps…). De courts vers, très sonores (il nous a semblé impor­tant de donner, en regard de la traduc­tion de Marie Borel et Jacques Roubaud, la version origi­nale anglaise en ce qu’elles ont, forcé­ment, chacune leur « musique »), « quelques syllabes fracas­sées » à la fois sans attache et inti­me­ment reliées aux images, qui disent les débris, les rebuts, les traces, les reflets, la chair vivante et morte, bleu glacial et rouge feu, les grif­fures du temps, « la radia­tion d’un éclair orange / englouti dans le vide », l’« étoile éteinte / dispa­rais­sant dans le noir / souriant à la tête de mort ».
Sarah Clément, elle, face à l’inéluctable, propose l’attitude du « Bluff », d’« impres­sion­ner l’adversaire en lui faisant illu­sion » (de donner le change ? – on peut, en écho au senti­ment, penser à la termi­no­lo­gie cyné­gé­tique…). Sans illu­sion. Le récit est construit sur deux voix, un il et un je fémi­nin, ponc­tuées d’une ou plusieurs voix off. Mettant en scène comme les photo­gra­phies une dérive nocturne (images d’ombres, de passants, anonymes échoués sous les néons de la ville, trot­toirs luisants, cafés ou sex-​shops…), dans les mêmes lieux alter­na­ti­ve­ment (mais ce fut ensemble), un homme et une femme croisent les mêmes person­nages – « la Blonde » « accou­dée au comp­toir, en vrac », un capi­taine irlan­dais saoul –, jouent les mêmes scènes, redou­blées, dans l’étirement d’un temps pour­tant réduit à deux nuits à peine sépa­rées par un jour (malgré l’introduction de dates pour le « jour­nal » de la femme, qui, non chro­no­lo­giques, annoncent une durée bien plus longue). Comme en boucle, pour conju­rer l’ennui (« il ne sait plus quoi faire, long­temps », au début et à la fin), des situa­tions plus ou moins absurdes, pour le moins loufoques – bluf­fantes –, et d’autres d’une terrible bana­lité. De nombreuses répé­ti­tions dans le texte appuient cette lanci­nance, comme la méta­phore de la mer, tout au long, qu’elle soit enfer­mée dans une boule neigeuse en plas­tique ou dans le bassin d’un parc, qu’elle soit dite par le Capi­taine ou par la météo marine, ou qu’elle tombe en larmes « salées ». – Là encore, les mots, « au brouillard de la nuit, nous racontent d’incroyables victoires. À l’évidence du jour, ils diront nos défaites, inexorablement. »

Photo­gra­phies de Jean Yves Cousseau

Notes de lecture

« Intem­pé­ries est un ensemble de voyages photo­gra­phiques imaginé par Jean Yves Cousseau.
Compre­nant trois parties accom­pa­gnées de textes compo­sés par les écri­vains Éric Audi­net, Tom Raworth et Sarah Clément, cet ouvrage très sédui­sant est bien moins une explo­ra­tion docu­men­taire d’un terri­toire donné qu’une rela­tion poéti­sée, néces­sai­re­ment frag­men­taire, aux lieux qu’a pu traver­ser le photographe.
Les images ne sont géné­ra­le­ment pas spec­ta­cu­laires, bien que le spec­tacle y appa­raisse comme une donnée essen­tielle du goût de vivre : paysages urbains, passants anonymes, carcasses d’animaux, néons, aqua­riums, nudité féminine.
Éros est dans les champs ou dans une boîte à strip-​tease, à moins qu’il ne s’agisse de son envers, meilleur ami/​ennemi Thana­tos, pour nous qui adorons manger notre prochain.
Chair du monde, chair des femmes, chair des bêtes.
La danse des voiles soulève la pous­sière tombée sur le maca­dam, ou sur les yeux du regar­deur ayant déjà beau­coup marché.
En noir et blanc ou couleur, dans le feu des réac­teurs d’un avion violant le ciel, les images de Jean Yves Cous­seau sont des amorces de récits, dont le montage crée les condi­tions d’un égare­ment à la fois fami­lier et étrange. […]
Il y a de l’intemporel dans ces Intem­pé­ries, du rêve éveillé, dont on suppose que ce qu’en donne à voir le livre publié aujourd’hui par les éditions Isabelle Sauvage n’est pas une fin de partie, mais un coup d’archet parmi d’autres gestes musi­caux insoupçonnés. »
Fabien Ribery, « Eros, c’est-à-dire Thana­tos, c’est-à-dire Eros, par le photo­graphe Jean-​Yves Cous­seau », L’Intervalle, 17 janvier 2017

« Trois écri­vains regardent les photo­gra­phies de Jean Yves Cous­seau et trois fictions sont écrites : peut-​être trouvera-​t-​on un fil conduc­teur commun, celui du malaise à vivre dans le monde d’aujourd’hui, dû en partie aux images rete­nues, majo­ri­tai­re­ment images de la nuit. »
Tris­tan Hordé, Libr-​critique, 24 mai 2017

Photo­gra­phies de Jean Yves Cousseau