Description
M est un personnage, principalement inspiré par la figure des belles-mères dans les contes de Grimm. M est la mère, tout à la fois Mère et maman, elle est ogresse et obscène, et face à elle la langue, ou plutôt le sujet, ne peut que bégayer. Le je est coupé : c’est souvent un j’, un sujet incomplet (comme d’ailleurs dans tous les livres d’Isabelle Baladine Howald), une tentative du sujet d’exister face à m. Non sans mal, ou paradoxalement en tenant de cette impuissance : « Éprouver que je ne peux plus […] / je suis de ne plus pouvoir et qu’il faille encore / ne plus pouvoir ». Dans M / m s’entend aussi aime — ou son impossibilité, justement —, ou un empêchement du pronom personnel me (me, el’ me) — notamment quand le m est redoublé (« penser que je ne suis plus / capable d’aimer m m mise au monde […] / m coupe le souffle m m porte un coup ») —, ou encore : « m de tête », « tête ne me fera plus m mal ». Ce bégaiement du m, les très nombreuses césures, ou l’éloignement des sujets m ou j’ de leur verbe, contribuent à une langue trouée, discontinue. Au même titre que l’entrecroisement des temps, et celui du « réel » et de l’imaginaire des contes.
Car le corps de M, le livre, tient à la fois de cet imaginaire et d’un « je me souviens », nécessairement fragmentaire, refoulé, fantasmé, vécu, relevant aussi d’un « roman familial » (dont je n’a « jamais rien cru »). Dans l’un comme dans l’autre, « toutes les versions sont sujettes à doute ». « Le monde me semble l’envers ». Le corps de m, le personnage, y est sans cesse exposé au corps de j’ qui a beaucoup de mal à tenir debout en face. Les références aux contes (pas seulement de Grimm, mais de Perrault, à Peter Pan ou même à Ophélie) émaillent le constat du « corps informe énorme » de m, proche de la mort : « peur quand elle mourra j’ ai peur de suffoquer de rire à gorge égorgée », « langue crache / venin et pierreries noires », « sinon la piqûre m’endormait pour cent ans ».
C’est une langue possible pour le corps, une possibilité d’enfance, qu’Isabelle Baladine Howald tente de retrouver, et celle-ci survient à la toute fin, par le biais d’une petite fille « neuve », comme celles des contes que leur innocence sauve.