Description
Les Précipités de Valérie-Catherine Richez sont des fragments, des blocs de prose ciselés écrits à l’imparfait, ou un passé plus ou moins accompli (chacun ponctué, en contrepoint, par une phrase en italique, sans temporalité, elle, et qui fait figure d’aphorisme discret), qui séquencent image après image, d’une manière extrêmement visuelle, une longue adresse à une femme – peut-être la narratrice elle-même –, une absente, ou plutôt une « absentée ».
Comme des paysages, en traversées, en errance, à la fois abstraits et très nets. Des éclats, des lumières, du verre, des reflets, des transparences ; la nuit, la neige, la glace, le gel ; des villes, des murs, des écrans. Scintillements, miroitements, surfaces réfléchissantes, crépitements lumineux, cônes incandescents… Quelque chose de sonore, aussi, comme un souffle continu, une respiration plutôt, des résonances, des réverbérations, une « langue de bruits », des crissements. Peu d’hommes, ou réduits à des « figurines figées dans une boule de verre où la neige n’en finissait pas de tomber », pour dire « l’errance de ceux qui ont perdu leur trace ».
Valérie-Catherine Richez nous porte dans une langue magnifique au cœur de l’opacité de nos vies, de notre présence/absence au monde, de l’inquiétude d’être peut-être tout simplement. « Comme l’énigme qui creuse en nous. »
Notes de lecture
« Brouillage, constamment, l’affirmation est sapée par la syntaxe, les modes et les temps. Pourtant des éléments quotidiens qui pourraient offrir la sécurité se jouxtent : la ville, les arbustes, un quai, le fleuve… relancés d’un texte à l’autre comme “le film” en début de livre, rappelé par les “images affolantes” plus loin ; mais un adjectif le déstabilise. En cette perception fine du narrateur vit une altération. Est-ce la conscience ou le monde lui-même qui est touché ? Les réseaux lexicaux croisés, démantelés par une qualification qui les menace, produisent une vision inquiétante, aux limites du fantastique, dans laquelle le lecteur se perd. Forcément.
Quelque chose s’est perdu, une langue, son sens :
“Signes effacés en ce moment de mots imprononçables.”
Car un effondrement a signé les blessures et les “cicatrices”, altéré la ville (la vie) et celui ou celle qui la perçoit.
“Tu savais que tu devais te tenir là sans comprendre. Plantée dans la terre froide. Sous la voûte épaisse et mouvante. Saluer. Signer. Dire oui à cette affreuse absence. Creuser à nu dans le silence. Aimer, aimer cette lumière noire en attendant que peut-être là-bas une voix se mette à chanter.”
En ce livre, en ce linceul, la peau mordue se souvient, par bribes, au milieu des saccades de “films publicitaires” ou d’ampoules étranges, des “oracles” et des signes. Aux vibrations du cœur ils se mêlent, garants de mémoire et d’oubli dans un morcellement porté par la voix engloutie “[e]n un constant frôlement d’adieu”. »
Isabelle Lévesque, Poezibao, 9 février 2015« La précipitation peut être phénomène mécanique ou événement chimique. Les Précipités de Valérie-Catherine Richez relèvent des deux : ils portent la fulgurance, manière “explosante-fixe”, les phrases cristallisent et prennent de vitesse la pensée. De là aussi le contraire : un effarement et le miroir immobile, toute l’histoire fixée sur une demi-page. Vous pensez feuilleter le livre comme une suite d’arrêts sur image, ou un jeu de kaléidoscope, recueil de planches, avec coupes sur l’instant revenu de loin ? Mais chaque nouvelle lecture vous précipite ailleurs, à suivre un geste centrifuge qui dévisse la mémoire.
De quoi s’agissait-il aujourd’hui ? D’un exercice d’exactitude ? De la mesure d’une coïncidence ou d’une irréductible perte ? De nommer le dedans, l’événement central, en même temps que l’exclusion, le cœur inaccessible, l’écart ? N’est-ce pas cela, qui est creusé par la forme même : texte coupant suivi d’un presque titre, fragment italique qui vise à la fois le dehors et le noyau ?
“[…] Langue de ton corps silencieux où chaque souffle creusait l’abîme tandis que des voix inconnues résonnaient au-delà des tours. Mots tracés en jets sur les murs par des mains d’enfants affolés. Comme le refus inscrit en fièvre noire dans leurs yeux.
Obscurité à lever, comme des pierres” »
Jean-Luc Bayard, CCP – Cahier critique de poésie #31 – 1, 27 octobre 2015