Description
La chair, dès le titre, des mains ou « l’événement d’un visage », dès les premiers vers, nous sont donnés… Or, dans ces photographies, pas une image de corps, pas un visage.
Un bouton de porte, des rectangles ou diagonales de lumière, des reflets de voilages (l’ombre d’un déshabillé), le rebord d’une baignoire, un rideau de douche, une serviette de toilette. Des éclats lumineux éparpillés, scintillants – diffractés. Mais partout des tons de chair, une surface comme épidermique : tout est chair quand il n’y a pas un bout de peau dans l’image ; tout est dans l’œil qui saisit l’image quand le visage est absent. Et le poème de résonner : « lés de chair », « temps frémissant », « empreinte / de la disparition / motilité du vide ». Il y a une présence intense dans ces photographies alors qu’elles ne sont qu’ombres et reflets. Il y a « l’ombre portée / d’un vis-à-vis », parce qu’ici s’ensable / un arrière / pays », « ici le soi de soi ».
À aucun moment dans Chair de l’effacement le poème ou l’image ne s’écartent l’un de l’autre, ils se renforcent, se tissent l’un l’autre. Le poème serait la colonne (dans la mise en page, déjà, à la verticalité prononcée), les photos la chair, de ce que l’on pourrait appeler un livre-empreinte, un livre-en-négatif, en un beau retournement : d’un effacement tout proclame la présence, la chair donc… « Aussi le chemin le plus court / vers le Poème / n’est-il pas la phrase / mais son effacement ». Le Poème en tant que champ (chant) d’une apparition – quelque chose, quelqu’un, là.
À écouter sur France culture, « Les bonnes feuilles », 11 février 2015 : Carole Darricarrère lit les premières pages de Chair de l’effacement.
On peut écouter aussi son « Atelier de la création » diffusé le 13 novembre 2014.
Photographies de Carole Darricarrère
Notes de lecture
« Une parole indurée, concrète à fleur d’abstrait, émiette des poèmes à finales longues, de jaillissement caudal. La langue a des voltes de spasme court, de poésie timbrée à l’os. […] Les photographies, de camaïeu de sépias en reflets, s’attardent sur la poignée d’une porte refermée comme un livre. Poignée et son ombre portée déportée d’absence à cru, gond cardinal comme “le trait tactile de l’inaperçu”. »
Christophe Stolowicki, Inks-passages d’encre, 27 novembre 2014« Issus de quelle radicale décantation, les poèmes qui composent le nouveau livre de Carole Darricarrère ? Dressés, quasi phalliques, ils fixent des traces qui rayonnent, conjuguent désir et dépossession. Désir de voir que démultiplie un dispositif alternant poèmes et photos couleur de peau ambrée et embrumée. [… une porte et son bouton de porcelaine, le rebord d’une baignoire, des rectangles ou des diagonales de lumière, l’ombre d’un déshabillé, un coin de rideau de douche, une serviette de toilette]. Comme autant d’échos à la nudité, et comme le rappel brûlant d’une présence.
[…] Le tout forme une sorte d’ontologie brute déclinée dans l’ombre portée de l’amour, quand après le surgissement et la volupté, vient l’éclipse. Ce que traduisent à leur façon la gloire dressée des poèmes et la voix sans mot d’images qui, dans leur “prompte saisie / du rien / de l’effacement”, donnent une aura, une chair à l’effacement. »
Richard Blin, Le Matricule des anges, février 2015À lire également :
Isabelle Lévesque, Terre à ciel, avril 2016