Description
Les caduques est un livre à multiples entrées. Maryvonne Coat y explore l’enfantement au plus intime, au creux de la chair de la femme, la fusion utérine entre la mère et l’enfant, mais on peut y voir également la relation sexuelle et amoureuse des amants. C’est une plongée, ou une traversée, du corps-matrice, du corps-vie.
Si l’usage du mot « caduc/que » pour quelque chose de périmé est fréquent, l’est beaucoup moins son acception médicale, au féminin, qui désigne la/les membranes qui vont former le placenta et être expulsées au moment de l’accouchement. Le terme vient du latin caducus qui veut dire « tombé » ou « tombant ». Cette signification plus courante du mot est là aussi présente, dans cette « chute » originelle, comme dans l’épuisement — et le renouvellement — qui s’opère dans un couple.
C’est une expérience d’écriture — et de lecture — qui s’apparente à de la couture, aux prises avec une matière dont la souplesse s’avère assez vertigineuse. Soit un poème en vers initial et trois versions qui en découlent, nous avons dans ce livre deux « fils », et deux « trames », chaque fois versant et envers. Chaque fois rigoureusement les mêmes mots, les poèmes « fils » se déroulant en vers brefs sur la page, filets, écoulements, les poèmes « trames » constitués de ces fils tissés serré, formant tissus denses ; les versants allant de A à Z, si l’on peut dire, les envers de Z à A. Seuls changent les coupes aux vers, et la disposition dans la page entre les fils et les trames.
On suit, dans les séquences versifiées, l’agencement des mots au rythme fluide, pris dans une sorte de spirale (ou de siphon), qui se dilate en versant, se rétracte en envers. D’un côté le fœtus qui se détache de l’utérus, la « peau commune », formant « deux nous / le nous / l’un l’autre / de chacun », et c’est la naissance (la séparation), la délivrance et le vide, « du tissu / affranchi / corps flotté / s’invente un espace », « le passé / nous sépare / de ce qui nous relie » ; quand, de l’autre, avec les corps unis « un espace / s’invente / flotté / corps / affranchi / du tissu », « un temps / nous relie / de ce qui nous sépare », et c’est comme un commencement, tout peut recommencer… C’est pulsations des deux côtés, « spasmes puissants », c’est liquide, vagues, déversements et échouages, le corps est port, jetée, plages ou grand-voile.
Les séquences en prose, au centre du livre, sont imprimées sur papier calque, redoublant le brouillage, ou l’empilement des couches. Si l’on est davantage du côté contenant, et la sensation d’un rembobinage plus que d’une spirale, ou d’une boucle, le bloc n’est qu’en apparence plus cadré, puisqu’il appartient au lecteur de relier tels ou tels mots, groupe de mots et d’avancer dans le texte comme il l’entend, avec la transparence qui paradoxalement obscurcit la lecture. Il y a saturation, assurément, dans cette superposition des sens.
Notes de lecture
« Lire Les caduques, c’est traverser des couches de feuilles, de peaux, de matières végétales et humaines ; c’est y voir de moins en moins clair ; c’est traverser une obscurité constituée de brouillards et de brumes, d’embruns et de moiteurs. Le livre repose sur ces diverses matières sujettes à transformation : les deux types de papiers utilisés jouent de l’opacité et de la transparence, du plein et du vide. À l’un est réservé le vers, à l’autre la prose. Vers bref, constitué d’un, deux ou trois mots. Prose compacte, qui opte pour un texte refusant la grammaire classique. Majuscules et ponctuation ont en effet disparu de la longue phrase sans début ni fin qu’on retrouve au cœur du livre. […]
Quelles matrices continuerons-nous à produire ? C’est à cette question que le texte de prose imprimé sur les feuilles transparentes tente de répondre par une sorte de fiction qui réécrit autrement les hypothèses proposées par l’empilement fragile mais entêté des vers qui précèdent et qui suivent. Naissance tragique ? Le liquide amniotique se mêle au sang. Les matières disent le couple fou qu’est éros/thanatos. Ce qui se détache, c’est la vie, mais ce qui tombe, c’est le poids de la mort contre laquelle on ne peut rien. Tas de feuilles, tas de corps, matières portées puis abandonnées. Donner naissance, c’est donner vie à la mort, qu’elle soit immédiate ou retardée. Et c’est un “saule pleureur” qui assiste à cette “oraison funèbre” originelle que chacun d’entre nous porte, pour ne plus cesser de nous déporter vers d’autres scènes que l’on se tue à dire. »
Anne Malaprade, Poezibao, 27 octobre 2021