Description
Un titre qui claque, interroge – et dérange, peut-être. Vif et insolite, pour ouvrir le livre qu’il porte. Honneur aux serrures se décline en trois parties et huit « mouvements » – pour reprendre le terme utilisé par l’auteure à propos de la pièce sonore en cours, composée par Alain Lafuente sur le texte qu’elle dit, offerte en parallèle sur son site (seuls les cinq premiers mouvements sont disponibles à ce jour).
C’est dire comme l’écriture d’Anne Calas est rythme, sons, avant tout. Ou « sautes de langage comme des sautes d’humeur », comme l’a écrit Claude Adelen à propos de son précédent livre, Littoral 12. Oui, ce qui surprend avant tout ici, c’est la liberté d’écriture, à l’image de ce « la maison flotte dans un printemps que l’été serre de près marque à la culotte (je veux dire ça) ». Et ça claque (ou « le son ruisselle », aussi), en rimes simples ou allitérations (carburateur/collimateur/détonateurs ; bicyclette/guêpes/carpettes ; etc./voudra ; « une sorte de langsam – langue – langage, ein küss zu küssen ein sehr sehr et me serre encore »…).
Ça – quoi ? Huit mouvements, donc, qui sont autant de saisons, au sens le plus large, celles de la nature et celle d’une « Femme-va-nus-pieds étoffe et électricité / fée fille mère grand-mère / papesse aux ciels joyeux ». Saison(s) chaude(s), saison(s) froide(s) (neige de janvier, aigu cristallin, sous laquelle coule/couve l’écarlate ; « éblouissement de framboise écrasée »), langueur et affolement, enfance, adolescence et maturité aussi bien, toujours mêlées, dans la recherche de la plus grande liberté qui soit : « = à dater de ce jour, je soussignée m’engage fidèlement à ne plus trembler. Feuillages tout le long du vivant courant à la rivière et encore du courage et rester assise. Plus que quelques millions d’années à venir à coudre, à flétrir, à cravacher famille ci-devant Homo sapiens, le père la mère, la fille le fils la fille la fille la fille. »
Cette liberté, elle se vit dans l’explosion des sens, du sexe, dans l’amour renouvelé, dans la pulsation qu’est vivre à l’écoute, au plus vrai, au plus près de soi et du monde qui l’entoure – les objets ou gestes les plus quotidiens, incroyablement animés, vivants, comme les éléments (« lune pleine prête à exploser », orage « ten[u] par les couilles »). « Une sorte de précipité », une « quintessence de vie », parce que « je revendique le droit d’aimer. Sans défense à la grille », « mon corps profond comme un fauteuil anglais, bulles de champagne, parfum salé vibrant de roses ».
Notes de lecture
« Honneur aux serrures. Quel titre ! L’association est inattendue. Et si le lecteur pense trouver ici tout l’attirail du parfait serrurier, il sera vite déconcerté. Association de malfaiteurs, alors ? […] Avec ce dernier opus qui met les serrures à l’honneur, la poète, qui est aussi comédienne chanteuse jardinière, mécanicienne à ses heures (garagiste ?) et surtout grande amoureuse, poursuit son entreprise d’ouverture d’“espaces poétiques”. Et pour permettre au champ des possibles d’avoir lieu, il faut faire sauter les serrures. Les serrures antérieures. Celles du passé de la langue du langage de l’écriture. Et du sexe. […] Rien n’arrête Anne Calas. Rien n’arrête son élan son bonheur à dire et à nommer. Son bonheur est plénitude.
[…]
Lire ce dernier ouvrage et les poèmes qui le composent, c’est se laisser prendre dans le tourbillon de la vitalité de la poète, dans son énergie vitale, dans sa soif inextinguible de l’amour. C’est partager un moment de vie qui entraîne dans sa verve créatrice. Car, outre cette vitalité insatiable, Anne Calas a un talent fou. Et cet Honneur aux serrures est une promesse de plaisir pour qui accepte de pousser la porte. Un plaisir qui va croissant au fur et à mesure que l’on progresse dans l’aventure qu’elle nous livre. Sans retenue, avec la prise de risque que cela comporte.
Entrer dans les “paysages/intérieurs” d’Anne Calas, c’est faire le choix du multiple. »
Angèle Paoli, Terres de femmes, décembre 2016Bernard Noël a permis à l’auteure de publier cette lettre qu’il lui a adressée à propos de son livre. Nous la reprenons ici avec plaisir :
« … livre au titre quelque peu dérangeant, mais c’est vite une ouverture qui s’impose et de page en page surprenante, donc efficace. Tout à coup les mots courants ne le sont plus et leur proximité dérange ce qu’ils disaient jusque-là, le précipite, l’accélère et provoque une sorte de printemps verbal qui agit sur la langue et sur l’œil, décapant les perceptions. […] De page en page, ces sauts de sens rajeunissent le lecteur qui retrouve peu à peu du sens en lui tout neuf. Merci. »
Bernard Noël, lettre à l’auteure, décembre 2016« Dans les rayons de lumière tiède de janvier et les draps de l’été, les lèvres électrisées d’une femme sensuelle contre le torse de l’aimé, des baisers = un bien-être. Libre dans ses formes qui varient des vers à la prose, en huit mouvements, trois parties, Anne Calas déploie des poèmes traversés de désirs. Les corps dansent.
“j’écris / paresseuse, des épopées de riens”, de ce tout qu’est l’amour.
La poète saisit des prés soyeux de la chambre ou du train comme l’océan où se baigner au matin. Elle écrit la douce complicité du couple, un bruit de machine à laver, l’odeur des “genêts” à l’aisselle. Sur le toit, de la pluie, “et claque l’élastique / de [sa] culotte”. Face à la lune, des instants de chaleurs, une réconciliation. Honneur aux serrures plonge dans les couleurs sensibles = une jouissance forte, sexuelle. Une “matière radieuse” qu’irradie un rythme d’images rêveuses, des descriptions montées par énumération et, souvent, une chute, un envoi fend la marge de ce recueil délicieux. »
Nathalie Garbely, CCP – Cahier critique de poésie, #34 – 5, 16 février 2018