Description
C’est une « narration » au long cours que propose cette fois Brigitte Mouchel, comme déployant ce qui se tissait jusque-là au sein de ses recueils précédents, le fil de proses-poèmes à la fois indépendantes et reliées.
Ce qui se déroule ici est une histoire de famille, mais sans généalogie ni chronologie. Les repères sont brouillés, à l’image de ces cartons (déc)ouverts, pleins de « vies enchevêtrées, de silences et de plis » qui restent entre les mains. Des photographies, des lettres, divers documents jaunis, craquelés, seules traces de vies de femmes, d’hommes et d’enfants dont on ne démêle pas bien les générations, les liens familiaux même.
Deux branches se discernent, l’une bourgeoise, l’autre ouvrière et paysanne : les ingénieurs ou autres « triomphants », « hommes en costume, à moustaches et médailles », « épinglés, droits », ceux-là sont « de l’autre bord » ; et les « petites gens, petits métiers », « sans nom, sans traces ». Les hommes y sont fragiles (le mot est répété souvent), les mères, mélancoliques ou qui s’abandonnent « dans les plis », les femmes, « massives », dures, engoncées (celles des maisons aux seuils de pierre et draps aux initiales brodées, celles-là, « sœurs, ronces, cousines », ont « mangé les petits hommes blonds et fragiles ») ou exilées (« une jeune femme seule venue de province avec un enfant sous le bras — un panier », « l’enfant devient boulanger »). Les enfants meurent, sont orphelins, ou délaissés, « grimpent aux branches fragiles ». Les femmes autour des enfants, pères absents (la guerre, aussi), « la famille poursuit son travail de naissances, sans bruit, les blessures enfouies ». Les visages à se ressembler se superposent, les prénoms sont repris, on ne sait plus.
Des images récurrentes, le jardin au pommier, la neige, le vent, les jambes nues, le piano et les chats, les cailloux blancs de petits poucets…, et le silence, de l’inquiétude et du chagrin — quelques phrases qui font refrain. Il y a, comme toujours chez Brigitte Mouchel, beaucoup d’allusions, un effleurement des choses, beaucoup de tendresse. La voix basse, feutrée, retrouve souffle dans les tirets qui tracent les parenthèses nécessaires, où s’essayent les mots plus justes. « Elle reprend — recommence », pour dire « la mémoire plus dense par instants que la neige et bien étranges les pommes », la « mémoire réfugiée » de l’enfance nue.