Journal de l’attente

Auteure
Laurine Rousselet
Poésie
120 pages, 14 x 20 cm, dos carré cousu collé
Parution : mars 2013

Publié avec le soutien du Centre national du livre

 17,00

ISBN  978-2-917751-34-3 Catégorie 

Description

De la passion amou­reuse, on pour­rait attendre un chant ou un surcroît de lyrisme – un sujet réuni, enfin réalisé, qui clame­rait ou décla­me­rait et qui s’élèverait vers un espoir trans­cen­dant. Pas de ça ici : Laurine Rous­se­let fait parler un corps, non commandé, presque sans subjec­ti­vité, quasi­ment déta­ché d’une conscience, dans la déme­sure de l’amour.
Les verbes à l’infinitif, nombreux, marquent son écri­ture. Sans marque ni de la personne, ni du temps, ni du nombre, ils nous conduisent hors d’une situa­tion énon­cia­tive, hors d’une rela­tion à la réalité ; trans­for­més souvent en substan­tifs, ils expriment le vif d’un tour­billon émotion­nel sans senti­men­ta­lisme. Fina­le­ment ces verbes donnent l’idée d’une déré­lic­tion où l’abandon des résis­tances s’affronte à la soli­tude des « dépas­se­ments » – l’insupportable propen­sion à faire ou à penser les choses « jusqu’au bout » : « l’immersion suppose la néces­sité de l’irréversible / le saut du septième étage pour voir ».
Un « corps de savoir », un « corps d’intuition », nous dit Laurine Rous­se­let, un corps qui « enfièvre l’écriture », où presque rien de l’être aimé n’est dit, si ce n’est les morsures qu’il laisse comme une « absence incal­cu­lable autour des reins ». Restent les humeurs corpo­relles pour entendre – comme seul visible de ce qui serait habi­tuel­le­ment ignoré – l’effervescence de cette « guerre du dedans ». Ces humeurs qui viennent soula­ger « l’hallucination d’être / une source force­née du cœur ».
« je se donne au besoin de déga­ge­ment » ou « je marche en perte » : deux vers parmi d’autres – peu nombreux – où on devine que ce sujet qui pour­rait re-​penser ou re-​exister n’est plus que « la menace ». Contre celle-​ci, il faut « tenir à la guerre / tenir à la langue / à tes mains sur moi toujours vivante » ; il faut batailler, pour gagner « l’amour au sommet du bassin », « l’infini par le sexe et l’amour ». Et le corps pour­rait enfin régner, même souf­frant et morcelé. Bien que « le sexe s’adapte à tout », le corps est « brûlant » et « enfié­vré », aussi fait « de trous déchi­rants », « inondé d’abîme », « morceaux de ruines », car il n’est pas si facile d’avoir pour projet de « résis­ter pour offrir au sexe son rouge »…

Notes de lecture

« Œuvre singu­lière née de l’urgence du cri, de l’insurrection intime du manque. […] Laurine Rous­se­let jette le trouble, risque l’ivresse des profon­deurs. Ni narra­tive, ni descrip­tive, son écri­ture génère un chant ellip­tique, frémis­sant, battant de rythmes hale­tants, de pulsions langa­gières en rafales, qui sourdent des abysses de l’être. »
Michel Ména­ché, Europe, n° 1024 – 1025, août-​septembre 2014

« Jour­nal de l’attente et Nuit témoin, deux recueils que Laurine Rous­se­let a publiés dans une maison d’édition bretonne, consti­tuent un fasci­nant diptyque. Les deux livres se ressemblent, sous leur belle couver­ture noire respec­tive, noire comme l’attente trop longue, noire comme la nuit.
Il en va de même du contenu et de la forme : des deux côtés, il s’agit de poèmes courts, d’une quin­zaine, envi­ron, de vers libres, brefs et sacca­dés. Des obses­sions textuelles et des thèmes récur­rents se retrouvent égale­ment de part et d’autre et l’ensemble est recou­vert de la même nappe d’obscurité féconde : un magma sous tension, qui mêle le point de vue de l’adulte et de l’enfant, du fémi­nin et du hors-​sexe, du sexuel et du spiri­tuel pour former un long poème épique et nocturne, fort et sauvage, à la fois abstrait et presque imper­son­nel, orga­nique, enfan­tesque, barbare, femelle, angois­sant. L’écriture de Rous­se­let, dans ces deux livres, est corpo­relle, pulsion­nelle, ryth­mée : le verbe, souvent à l’infinitif, est le mot totem de cette poésie de l’énergie et de la vitalité.
Il peut donc s’agir d’un seul flux recou­vrant de façon arbi­traire deux livres qui pour­raient n’en faire qu’un seul. Mais la descrip­tion inverse pour­rait tout aussi bien conve­nir à Jour­nal de l’attente comme à Nuit témoin. Car la poétique de Rous­se­let peut être ressen­tie comme parti­cu­liè­re­ment écla­tée. C’est alors non pas l’ensemble des deux recueils qui servi­rait d’unité, ni chaque recueil pris isolé­ment – ni même les poèmes, mais, tout simple­ment, le vers. Et celui-​ci se limite parfois à un mot : “noué”, “entiers” ou “écla­tant” dans Nuit témoin, “cava­lée”, “percée”, “recrache” ou “feuer” dans Jour­nal de l’attente.
Ainsi, la lecture de ces deux livres peut se faire d’abord de façon kaléi­do­sco­pique : dans les poèmes, certains vers, qui semblent briller davan­tage que les autres, s’isolent du magma comme “l’espace est une réalité mouillée”, “d’avance les soleils ne m’ont jamais manqué”, “ailleurs t’envoie un baiser bleu” dans Jour­nal de l’attente et, dans Nuit témoin, “le quar­tier de lune cloue l’œil”, “la main prend feu de la vie”, “sur ma tête la nuit se jette de non-​sommeil” ou “je m’inconnue”, qui marque le fémi­nin de façon rare et troublante.
Mais il est aussi possible de consi­dé­rer les poèmes comme des ensembles, en étant sensible à leur rythme interne : au début, l’énergie s’accumule, au moyen d’une succes­sion d’infinitifs occu­pant des vers-​phrases courts et auto­nomes, puis, comme dans un sonnet, une flèche finale apporte une forme d’apaisement, peut-​être produit par la présence d’une phrase longue qui se déploie soudain sur plusieurs vers et qui résonne parfois comme une maxime classique. »
Laurent Demou­lin, Culture, Univer­sité de Liège, juin 2017