Description
Dans ce texte très court, Tremble est un personnage, un sujet à part entière. Petite forme ramassée pour aller au cœur, celle-ci semble s’articuler autour d’une colonne centrale de deux séquences, justifiées en regard, où se dit le père disparu, et « rester le fils », et le « tremblement essentiel », « part silencieuse à nos peaux ».
Tout en pudeur, on lit « les peurs de tout de moi des autres […] de déjà plus l’enfant », un « enfant déshabillé » « qui leurre et qui pleure », ce « Tremble qui bat la mesure de / la présence qui détraque », qui doit faire avec l’« exercice » (l’expérience) « des langues tremblées comme la parole ». On y croise aussi Alcool, dont Tremble « ne parvient pas / à [s’]échapper », compagnon des « mains impatientes » « dans la recherche des mots tremblés cousus au passé ». C’est que désormais Tremble est ce mouvement indissociable et complice, ce pas de côté imprégné qui « bat les peurs » comme on bat les cartes, « comme on s’écrit ».
Comme on s’écrit… « à la vitesse d’un tremblement » : c’est bien une écriture tremblée qui fait ce texte, et trouée de mots trop lourds à porter, qui frappe d’autant plus qu’elle est fragile et forte tout à la fois, dans la nécessité à dire ces paroles, les saccages et les silences.
Notes de lecture
« Benoit Colboc, c’est aussi, toujours aux éditions Isabelle Sauvage, le texte bref, Tremble, composé de deux séquences justifiées en regard sur papier plié détaché inséré dans un petit volume gris se présentant comme un carnet de pudeur. […]
Aller à l’essentiel, ou pas, au bouchon de liège ou au siège des émotions.
il faut écrire jusqu’à la corde, la desserrer, tisser autrement.
“moi le stylo / lui la terre”
Tremble est un personnage hanté. »
Fabien Ribery, « Au nom du père, par Benoit Colboc, poète », L’Intervalle, 22 août 2021
« Tremble est un condensé intense où les pages (non coupées) sont à déplier lors de la lecture, tant physiquement que symboliquement – et ce faisant, l’auteur donne à entendre une voix singulière et puissante, construite sur des agrammaticalités, des doutes, des tremblements, mais qui se fait d’autant mieux entendre. »
Stéphane Lambion, Poezibao, 20 septembre 2021« Tremble occupe le terrain au point d’être un nom propre, lieu principal de l’œuvre double. Ce mot devient […] le centre du séisme familial qui affecte toute la fratrie : “l’aînée et le dernier qui tremblent et pleurent de la même façon”, et le frère, agriculteur comme le père, qui “chavire chagrin questions”.
Tremble fracture comme on le voit le récit linéaire, agglutinant ou isolant des mots, inachevant des phrases, affectant la conjugaison, la syntaxe, les catégories grammaticales : “Je silence et je peur” […].
Ce sont tous ces tremblements du sol de l’enfance que reproduit dans les deux livres une écriture originale, dense et intense, avec les secousses qui lui sont propres. »
Nathalie de Courson, « Tremble (une expérience de lecture) », Patte de mouette, 13 octobre 2021« Benoit Colboc pousse cette démarche avec plus de radicalité encore dans le poème Tremble qu’il publie en même temps, aux mêmes éditions [voir Topographie]. Conçu comme un diptyque qui se focalise tantôt sur le fil, tantôt sur le père, “moi le stylo / lui la terre”, entre projection vers l’autre et saisissement de soi. Il saisit, au-delà d’un léger hermétisme, une relation qui oscille entre colère et empathie, et propose une poétique singulière, expliquant les raisons et les conditions de l’écriture poétique dans une relation puissante avec un réel qui échappe et fuit sans cesse. Saisissement mémoriel, reconstitution intérieure, réflexion sur le geste de l’écriture, la lecture de Tremble complète son récit plus accessible, affirmant une dynamique forte : “Tremble comme je m’écris / jusqu’au point final.”
C’est qu’il serait absurde en quelque sorte de vouloir exprimer tout ceci dans le flot d’une langue habituelle car ce qui compte n’est pas la douleur banale, les secrets de famille, mais bien au contraire les moyens langagiers qui permettent de déplacer le biographique pour le transmuer en trace écrite, révéler une disjonction existentielle, en travailler la densité même. »
Hugo Pradelle, « Un récit et un poème, bouleversant coup double de Colboc », Mediapart, 12 décembre 2021 ; « Deux livres, une existence », En attendant Nadeau, 18 décembre 2021