Description
L’ensemble Et leçons et coutures et divers autres rattachements et raccords (faits de bousigues) et contenant quelques rapiéçures et retailles destinés à constituer une illisible et centonifique et inachevable et improbable lectobiographie d’auteur (il faut citer le titre entier pour immédiatement donner le ton, si singulier, de la voix de Jean-Pascal Dubost…) a pour impulsion une passion immodérée pour la littérature, livres et écrivains, et pour intention de rendre hommage à la foule de ces pères et pairs qui à un moment donné ont « participé à la construction et de l’être-de-voix, édoncques de l’être de chair » Jean-Pascal Dubost. Précisons, pour aider un peu à la lecture de ce titre, qu’au XVIe siècle on appelait couture naturelle le lien qui unissait les pères aux enfants, que leçons signifie « lectures » au sens étymologique et, chez les philologues, variantes d’un texte ancien : c’est en amitié profonde pour les livres que l’auteur s’est couturé « naturellement » à ses pairs (anciens et modernes).
Et leçons et coutures… est une fresque d’influences, d’enthousiasmes et d’admirations dessinant une lectobiographie, où le sujet d’écriture n’en finit pas de se dissoudre dans l’autre pour se fabriquer « poèmes en bloc », poèmes comme « variantes actives de l’individu vivant, écrivant ». Un « livre de dettes » mais qui entend n’en « régler aucune » : sous l’apparence de l’hommage, se dessine en fait un portrait en creux de l’auteur, sinon en surface puisque Jean-Pascal Dubost use d’une langue qui jamais ne se laisse envahir par l’influence à laquelle on pourrait s’attendre mais bien au contraire redessine encore et encore sa propre route, ses propres détours, non sans violence – une langue, aussi, très enracinée dans le monde « de son temps ». Un portrait d’une grande vitalité, au vitriol quelquefois, non pas tant des figures tutélaires évoquées que de leur « serviteur » et surtout compagnon en écriture. Une belle manière de s’inscrire, pour Jean-Pascal Dubost, dans les rangées de la bibliothèque qui l’a constitué.
Notes de lecture
« En ces blocs faits “de fragments autobiographiques mélangés à des pensées méta-poétiques et à des allusions historiques” on ne sait jamais de qui il est question, l’auteur évoqué ou l’auteur du poème…. et bien entendu c’est la règle du jeu, ces glissements entre les deux, cet échange quasi organique. Reliefs de repas, d’orgies même parfois de lectures, pelotes de déjection, petit tas laissés par le poète après manducation, rumination et renvois divers, ce qui a passé d’un auteur à l’autre. Allant jusqu’à assumer un caractère amphigourique : “la phrase amphigourique et emberlificotée des poèmes en bloc n’est autre qu’un mouvement circulaire et amoureux de la langue pour mieux tromper le lecteur” (note qui appartient au poème… James Joyce). Invention verbale permanente et délectable, fabrique de mots qui tourne à plein régime, envoyant le lecteur au tapis par petites chiquenaudes, tours et détours pour l’emberlificoter, le déstabiliser, lui faire comprendre que s’il croit avoir compris c’est nécessairement qu’il se trompe, lui offrant néanmoins “d’intenses petites syntaxes carminiformes intranquilles”. »
Florence Trocmé, « Le Flotoir », Poezibao, 29 mars 2012« Heureusement loin de toute table rase (ou, du moins, de la mémoire courte de certains contemporains, poissons rouges à rayures dadaïstes ou pas), Jean-Pascal Dubost confirme à sa manière le fait qu’écrire exige de lire un tant soit peu ses pairs, Villon étant alors aussi actuel que Prigent. D’ailleurs, ici, une telle ouverture est évidente rien qu’au lexique1 qui brasse les époques et les registres au long d’une “lectobiographie” d’où l’on pourra tirer autant de “leçons” que de “coutures”, les deux substantifs pouvant être bousigués2 en “lectures”.
Ce qui donne au bout du compte un “livre de dettes”, autrement dit de “plagiats avoués”, d’hommages plus ou moins facétieux, dont 98 sont rendus à des écrivains et 1 au “cycle du Lancelot-Graal”, l’ensemble étant traduit dans la “langue Dubost” issue de la rumeur de ces voix multiples, “langue tout à la fois populaire, vulgaire, verte, littéraire et documentée” – et créant au final un alliage tonique et singulier. »
1. Critère essentiel en matière de poésie, genre encore trop souvent hanté par la recherche d’une prétendue pureté – ou par son contre-pied systématique, ce qui revient en fait à la même position ségrégative.
2. Une bousigue est, paraît-il, une couture grossière.
Bruno Fern, Remue.net, 11 avril 2012« Une suite de 99 poèmes en prose presque uniquement virgulée, assez courts, d’une ligne à une page. Ce sont des poèmes d’un souffle, forme assez fréquemment utilisée par Jean-Pascal Dubost dans ses livres précédents, donnant un rythme chahuté et lié à la fois. La syntaxe est malmenée, mais on ne perd jamais le fil : c’est l’avantage du poème bref. Par contre, le lecteur est vraiment mis à contribution, ou sommé de participer activement, par la saturation de citations (indiquées ou non), de néologismes, mots-valises, expressions populaires ou détournées, emprunts au latin, à l’anglais, à l’ancien français, aux langues régionales, aux patois… Un vrai festival de langue que Jean-Pascal Dubost n’avait jamais poussé aussi loin jusque là, me semble-t-il. »
Antoine Emaz, Poezibao, 2 mai 2012« Jean-Pascal Dubost est bien vivant […] et ses leçons et coutures […] sont une lecture des plus revigorantes. »
Tristan Hordé, Les carnets d’Eucharis, 20 mai 2012« un livre moins de “dettes”, d’hommages que de dons, de joyaux détachés pour se concilier un à un les demi-dieux héros d’un panthéon singulier […]. Une orgie lettrée, tout en rapiècements, coqs à l’âme, jubilation rabelaisienne, solide virtuosité. »
Christophe Stolowicki, CCP – Cahier critique de poésie, n° 25, mars 2013