Description
« si mes mots peuvent dire les mouvements » serait le filigrane de ces Carnets du chorégraphe, s’ouvrant en « juillet 63 » et se fermant en « juin à pas menus », une année donc à priori, n’était l’entrée « cette fois février d’une autre année – avant après – peut-être » qui laisse entendre un temps élastique, assez indéterminé. Les dates d’ailleurs sont indécises, portant davantage sur des moments, des sensations : « décembre à vif », un matin, « jour / nuit de veille », un mois de février s’étirant : « février-février », « février d’éternité », « février d’hiver », « sombre février », « février entêté », « février quitté » enfin (« février puis mars »).
Un homme pose des mots, des notations, sur la chorégraphie qu’il est en train de monter avec trois danseurs, Maïté, Paola et Phil. Ceci pour un semblant de fil narratif, car par ailleurs nous sommes très loin d’un récit ou d’un journal. Le chorégraphe consigne ses doutes, ses recherches et, comme dans la salle de danse, les mots se déploient dans l’espace de la page, cherchent non pas à montrer la danse mais à l’incarner. Éclatés, tendus comme les danseurs menés par le chorégraphe intransigeant, qui travaille à ce qu’ils aillent vers les « chemins de travers aux angles morts / cassés », vers « ce qui de moi s’ignore se replie », « le moment du vertige en lieu et place de / la brisure », « le point ou ne pas succombe », à ce qu’ils « puise[nt] / là où / la buée ».
Un au-delà des corps, d’eux-mêmes, de lui-même. Se creuse l’intime en même temps que les pas, les mouvements, Maïté, son amante, ne l’a‑t-elle pas quitté (qui, elle « trouvait ses tremblements loin / derrière »), Paola et Phil ne seraient-ils pas à leur tour l’image de ce couple, dédoublé, et pris dans le cercle ? « Qu’ils supportent les mouvements disloqués / pas les leurs / les miens // avec l’enchevêtrement des mots // les intervalles de vide / le pas à pas ». Peu importe, puisque « le temps de la valse est la clepsydre », qu’on ne peut « ignore[r] les poussières qui n’attendent que / le silence pour retomber » et que restent « les coins encore eux / j’avais beau défaire les tissus / les insuffler // rien ne quitte un coin ».
Ce premier livre réussit avec force et justesse à dire, derrière le corps « technique » du danseur, le corps à corps de chacun dans la vie. Les mots, « virgule de pas emboîtés », tremblent, ondulent, s’entrechoquent, pulsations de l’être, « pont suspendu corps paysage indéterminé ».
Notes de lecture
« Comment articuler l’écriture poétique et la danse postmoderne ? Maryvonne Coat (née en 1967) répond en chorégraphe ; elle sait chasser les mots pour suivre les mouvements disloqués des corps enchevêtrés et rendre lisible le pas risqué dans les arcanes du vide. »
Didier Cahen, « Trans/Poésie. Forcing », Le Monde des livres, 18 octobre 2018« Un curieux texte, une mise en page aérée qui peut figurer les petits bras frêles des danseurs, leurs longues jambes, entrechats et autres gambades… et les notes prises ça et là dans une chronologie parfois audacieuse.
Les danseurs : “pointe ouverte décolle hanche 3−4−5”, “répéter répéter répéter scander et 3 et 4 et 5”, “et 3 et 4 et tchac” on aperçoit le travail des corps :
“j’ai violenté les muscles/les articulations je les veux sèches/reprendre le tracé des colonnes de Phil/modeler le domaine d’approche/ fauve tapi flou”
Ainsi, ils se dessinent ces corps, mais l’ensemble se montre alors plus ambitieux. Ces images se font doubler par la pensée du “chorégraphe” : “Maïté me manque”
“est-ce que Maïté dormait encore quand/je nouais mes membres aux astres”.
L’adresse perpétuelle à Maïté nous fait douter, est-elle de chair et de muscles sur scène ?
Les mouvements de cette danse, son rythme, ses douleurs ne sont-ils pas le simulacre d’un amour perdu ? Les danseurs comme des marionnettes jouant leur vie qui est aussi un peu la nôtre…
Une écriture bien étrange à découvrir… »
Clara Regy, Terre à ciel, novembre 2018