Le dit du raturé ///// Le dit du lézardé

Auteur
Jacques Roman
Poésie
64 pages, 12 x 18 cm, reliure dos à dos
Parution : mai 2013

Publié avec le soutien de la région Bretagne et du Centre national du livre

 15,00

Épuisé

ISBN  978-2-917751-35-0 Catégorie 

Description

C’est très natu­rel­le­ment que Jacques Roman a pensé à rassem­bler, ou plutôt acco­ler « dos à dos » Le Dit du raturé et Le Dit du lézardé, pour­tant écrits à des périodes diffé­rentes, tant ces deux « médi­ta­tions » se répondent, cheminent paral­lè­le­ment. L’un comme l’autre sont digres­sifs, la plume accom­pa­gnant les pas de côté de la pensée. Il est inté­res­sant d’ailleurs de préci­ser que Jacques Roman n’écrit que sur papier, n’utilisant jamais la machine (le média), ordi­na­teur ou même machine à écrire. C’est à la main qu’il signi­fie sa pensée, et à cette lumière les « dits » ici rassem­blés prennent toute leur force. Ceci éclai­rant encore cet « art poétique », reven­di­qué comme tel, et son inscrip­tion dans le corps, dans la chair du poète.
Si la rature est « faute » infa­mante de l’écolier, violence de la dispa­ri­tion d’un être cher dans le carnet d’adresses ; si ses diffé­rentes formes sont éloquentes : « trait ou hachure, ou encore spirale comme barbe­lés », tracée très admi­nis­tra­ti­ve­ment à la règle…, la rature est pour le poète « cica­trice », livrant « une exis­tence en prise avec elle-​même » ; « respir », « combat », voire « plaie » ; « signe d’une révolte de tout le corps ». « La page est trouée en divers endroits. Elle témoigne d’une espèce de guerre qui a pris pour terri­toire le corps » en même temps que la page.
Comme la lézarde, qui est crevasse, éclair lors de l’orage, vase ébré­ché, « lacis d’étroites rues », fleuves dans la carte de France en plas­tique de l’écolier ou encore « stig­mates de ceux qui ne jurent que par les clous et la lance », est aussi « lèvres », « bouche singu­lière à nour­rir, toujours affa­mée », « entaille » ou « fêlure » intimes.
La rature et la lézarde sont bien sœurs : « La rature dit que ça tâtonne, que ça erre, que ça hésite, que ça cherche, que ça tombe, se relève, s’impatiente, dit qu’il y a du jeu et de la marge là où ça s’engage. » La lézarde « invit[e] à s’égarer entre les lèvres de son égarante déchi­rure » ; « qu’on la caresse d’un doigt ou de la paume ou de l’œil », elle « instruit la quête de l’hétérogène »,« excite le goût d’élar­gir ». La rature est guerre intime dans l’ordre du monde, la lézarde appel au regard déplacé ; l’une comme l’autre fouillent l’être, y pénètrent, l’égarent et le retournent et le retournent avec jubi­la­tion, avec fulgu­rance, le rendant viscé­ra­le­ment vivant.

Notes de lecture

« Je dirai simple­ment et pour ma part que je range­rais ce livre dans le coin privi­lé­gié d’une biblio­thèque, entre les rumi­na­tions de Blan­chot sur la litté­ra­ture, pas loin si possible de Bataille et de Duras. »
Jean-​François Gomez, Cultures & Socié­tés, n° 29, janvier 2014

« Trace autant que terreau de la ques­tion de l’écriture, qui cherche, raye, reprend, veut “donner visage à un sens”. La rature n’élimine pas, elle envi­sage. Plusieurs fois, Jacques Roman la relie à l’expérience scolaire de l’enfant où elle pèse comme un manque­ment (pire qu’une faute en dictée), comme s’il fallait pour l’assumer comme dérou­le­ment fécond accep­ter, dépas­ser la culpa­bi­lité qu’elle pour­rait engendrer.
Réha­bi­li­ta­tion de la rature, au point de souhai­ter qu’elle soit gravée sur le tombeau, rayant le nom, comme une gran­deur. Ou sur la feuille, la perçant, la grif­fant, pour signer une lutte, “trou clair-​obscur où celui qui écrit bouche pour ainsi dire la bouche qui pour­rait donner voix”. Empê­che­ment, reprise, couture. La rature révèle le “chan­tier” de l’écriture :
“Presque toutes les méta­phores de la rature relèvent de la subsistance.” […]
Ainsi s’élabore ce livre. D’une rature, il fait sa foi. Ébran­lée, vacillante, enri­chie de sa lézarde active et témoin de sa recherche. Il ne se subor­donne pas, ne cerne pas la rature en la captant. Il montre sa béance. Ratures et lézardes sont les traces onto­lo­giques d’une beauté qui ne renie pas l’écorchure, la balafre enfin assu­mée. Poéti­que­ment posée sans tenir. Bascule de sens autant que pers­pec­tive esthé­tique, “signe unis­sant la bles­sure au blessé afin que la souf­france ne soit plus ce souf­frir mais cette connais­sance d’un adve­nir durant”. Lui sied le parti­cipe présent qui n’écarte pas la plaie de sa portée féconde, en deve­nir. Unité brisée par cette accep­ta­tion, “le chaos énonce son auto­rité”. Au fil des lignes du Dit du raturé des italiques pour secouer le sens propre, comme fissuré par les emplois récur­rents qui ôtent au verbe sa ligne de force. Même souli­gne­ment que la rature, autre­ment. L’enjeu se déplace sur la page, assu­rant ferme­ment non une prise sur le sens mais une capta­tion au fur et à mesure de la réflexion. »
Isabelle Lévesque, « À livre ouvert », Terre à ciel, avril 2017