Description
« Je crois que l’art qui me touche tient à cette relation du réel à l’invisible. À ces forces qui nous entourent mais que nous ne voyons pas. C’est une autorisation de croire à un absolu, à une rêverie qui pourrait prendre vie. »
Où qu’elle aille, Juliette Agnel semble porter ce regard subjugué sur les puissances de la nature, où l’espace et le temps sont mystères profonds. Du Mali au Groenland, des Alpes au Maroc ou au Soudan, les paysages sont révélés, sublimés par l’expression d’une intériorité.
Lors de sa résidence à Plounéour-Ménez, au cours de l’été 2019, c’est tout naturellement comme en expédition qu’elle a arpenté les monts d’Arrée, avec un émerveillement permanent, premier, pour reprendre les mots de Fabien Ribery sur son blog L’Intervalle. En ethnologue-photographe, elle y a ressenti les énergies cosmiques, telluriques, l’énergie des hommes, l’histoire des lieux, la mémoire des roches, « tout l’invisible contenu dans les lieux, ce qu’il nous raconte, mais qu’il ne nous dit pas ».
C’est aussi naturellement qu’elle y a rencontré le géobiologue Yann Gilbert, dont le travail est justement d’étudier et de contrôler ces énergies, qu’elle a pu le suivre et se laisser guider dans ces espaces qu’il connaît intimement. Les citations reproduites dans ce livre sont extraites de ses propos tenus sur le vif au cours de leurs pérégrinations et enregistrés par Juliette Agnel. Ils ne sont qu’une infime trace de la pratique et de la pensée de celui qui les tient, et ne prétendent surtout pas à un enseignement théorique, dont ce livre ne saurait être le lieu.
Au fil des pages, si l’on est en prise avec une sorte de conservatoire du vivant, comme un relevé topographique, une tentative d’inventaire des lieux rencontrés, c’est le prisme esthétique qui s’impose, la force du regard que Juliette Agnel a porté sur roches et fougères, menhirs et dolmens, sous-bois ou lande, calvaires et chapelles qui créent la singularité de ce territoire.
Et c’est finalement un paysage imaginaire qui se déploie, « une disproportion ordonnée échappant au discours pour faire entendre la tonalité d’une parole sans traduction possible, qui est au sens fort un ravissement, un rapt de tout l’être » (Fabien Ribery).
Notes de lecture
« Des fougères nous accueillent, ce sont des arches végétales nous offrant un premier accès à la forêt, une possibilité d’entrer dans l’immémorial.
Il ne faut pas chercher à forcer les significations, simplement s’autoriser à se laisser enchanter de la présence des choses, et les saluer intimement, intérieurement.
Il y a des chaos rocheux, des chemins discrets, des structures de pierres pensées comme des abris funéraires, des entrées supérieures permettant à l’âme du défunt de se déplacer dans l’autre monde.
Les images de Juliette Agnel sont sombres sur le papier, il faut faire en soi la lumière.
Des ornières, des allées, des bizarreries datant de l’ère glaciaire.
Des corridors, des appels d’ombres, des bouches muettes.
Une chapelle presque nue, d’autant plus sacrée que les yeux sont happés par la clarté du vitrail. […]
Au Groenland, au Soudan, dans le pays Dogon ou dans le Finistère, Juliette Agnel poursuit inlassablement la même quête : saisir ce qui nous unit en profondeur, en rappelant que le petit corps d’homme est un fragment signifiant du cosmos, et que vivre vraiment nécessite de ne pas l’oublier. »
Fabien Ribery, « Monts d’Arrée, dans le cœur du cœur, par Juliette Agnel, photographe », L’Intervalle, 14 août 2020« Juliette a parcouru ces monts d’Arrée en ethnologue, en photographe inspirée, cherchant à photographier l’invisible, d’où le nom de l’ouvrage où est adjoint encore le mot diskuzh plus sonore, en breton, incantatoire, sorte de formule magique ouvrant le regard, présidant à l’éveil d’un monde derrière un monde, d’une réalité invisible issue d’une réalité visible, portrait méta-psychologique d’un enchantement, d’une surréalité aussi.
Dans L’invisible de Juliette Agnel, deux chemins se croisent alors, celui de l’ethnologue, de l’anthropologue, qui fonde une démarche scientifique, un socle dans l’approche du vivant mystère et du génie des lieux, descriptions, mesures, relevés, histoire, cartographie, classifications ; ainsi s’entendent matières, roches, fougères, menhirs, dolmens, sous-bois, lande, calvaires et chapelles, qui apparaissent dans une approche singulière du territoire, et l’autre, plus méta-psychologique, plus contemplative, plus intuitive, où il est question d’impressions, de ressentis, de perceptions, de vie de l’esprit, de rêve éveillé, de somnambulisme actif, de regard intérieur, de présences et des liens au Sacré, à l’immémorial, vécu par la photographe, comme une aventure de l’être.[…]
C’est pourquoi, ici, se relève le temps, se dissout le variable, se creuse le chemin, s’inverse le ciel… se pacifie l’être… entré en résonance, à l’écoute de ce qui a fui, reste imperméable au temps comme à jamais établi par la mémoire séculaire des pierres levées, quand la fragilité aiguë des fougères fait la lumière pour elle même, matricielle… et tout cela est pris dans un silence parfait, au centre de soi, afin que pépient les secrets inscrits et le mouvement qui les rend à leurs présences… toute la présence… Il semble que Juliette ait entendu ce mystère actif en forme de question, Sagesse de l’écoute, poétique de l’éphémère, instant fait d’éternités, d’invisible, d’immémorial et de renaissances… »
Pascal Therme, 9lives-magazine.com, 22 septembre 2020« Juliette Agnel est une paysagiste tellurique, qui se plonge dans le terrain avec délectation […].
L’invisible est le résultat de sa résidence bretonne à Plounéour-Ménez, au cours de l’été et de l’automne 2019. Elle est partie à la rencontre des menhirs, des sources, des combes et des ruines. Les images noir et blanc évoquent des illustrations documentaires et sont suivies d’images couleur de fougères, outil de narration car symbolisant le souvenir, l’intercession entre le merveilleux et les hommes. En se promenant dans le sacré de la minéralité, des végétaux et de l’eau, elle invite à une méditation sur l’union des hommes et de leur environnement, présentant le sacré comme une interdépendance fragile, la reconnaissance d’un pacte ancien, aux termes simples et sans clauses cachées, que les héritiers ont pourtant du mal à honorer. »
Carine Dolek, « La ballade des fougères et des dolmens de Juliette Agnel », Réponses Photo, 23 septembre 2020« À son œil, souvent troisième, Juliette Agnel juxtapose des mots en écho, en réverbération, d’un travail (d’une mission ?) d’exploratrice des traces originelles de la nature.
En ethno-photographe, elle arpente des espaces disparates, du Mali au Groenland, des Alpes au Soudan, pour y recueillir les énergies et les secrets cosmogoniques contenus dans une feuille, un grain de sable, l’écorce d’un chêne séculaire. […]
L’invisible déroule les captations photographiques de ses déambulations diurnes et nocturnes au cœur des éléments des monts d’Arrée. Elle y quête les puissances lithiques, la mémoire des lieux, les révélations de la flore, les évidences invisibles révélées par l’entremise habitée de ses regards, entre chamanisme et démiurgie.
Celle qui se définit en photographe monomaniaque a cette fois tramé ses clichés de propos tenus et enregistrés lors de ces expéditions d’émerveillement. Ainsi se dévoile “tout l’invisible contenu dans les lieux, ce qu’il nous raconte, mais qu’il ne nous dit pas.”
Tant il est vrai que l’ineffable et l’indicible sont germains de l’invisible… mais l’artiste est là pour, parfois, soulever un coin du voile… »
Yves Goulm, « Troisième œil », Le Mag Agglo – Quimper, n° 89, novembre-décembre 2020À écouter :
• Sur Radio 9 Lives : un entretien entre Pascal Therme et Juliette Agnel,
22 septembre 2020, durée 21’28.
• Sur France Fine art : Interview de Juliette Agnel par Anne-Frédérique Fer,
enregistrement réalisé par téléphone, entre Paris et Chaumot, le 21 août 2020, durée 20’37.