Description
Des disparitions avec vent et lampe se compose de trois parties nées d’un même lieu : une chambre, « chambre vide et réelle », mais aussi « lieu des drames » et « chambre de morte », à partir de laquelle va advenir la langue…
De la mort ou du drame, rien ne sera réellement dit, que ces disparitions et apparitions d’images dans et hors de la chambre. À l’intérieur, sont l’amour, le corps morcelé, la peau, les mots, la folie… et la lampe, figure centrale, « présence corporelle », « lampe drame de la chambre ». À l’extérieur, sont la pluie, la mer, les feuilles, la forêt, l’herbe et le vent, le vent partout, toujours le vent.
Émaillé d’adresses au lecteur – « comprenez-vous », « voyez-vous », « entendez-vous », « je reprends » –, le poème se joue de multiples pronoms, se dérobe au je (comme une excuse), pour mieux y revenir : « et ce n’était pas moi, qui le disais », « de qui je parle // pas de moi ». Quant au recours précis aux italiques, peut-il être interprété comme une interpolation, à lire comme un second poème caché dans le ventre du poème-matrice ?
Par un jeu de répétitions des mêmes mots, disposés et utilisés de façon différente, l’auteure crée une langue mouvante, entêtante, sans cesse détournée, retournée, évolutive comme une boucle en musique. Pour filer la métaphore musicale, les trois mouvements du texte composent une partition épurée qui reste cependant mystérieuse, architecturée par la rigueur de ses silences, formant souffle… « vous / vous souvenez // le vent ».
Notes de lecture
« Après l’avoir publiée dans les anges de Terre à ciel, c’est un plaisir de redécouvrir Fanny Garin avec ces textes concis et percutants, qui suggèrent bien plus qu’ils ne dévoilent. S’ils le font, c’est par à‑coups et petites touches. Ainsi, dans des disparitions avec vent et lampe, il est question de circonstances, d’une chambre vide et on devine des drames. Car si “le corps / parle seul des images retenues”, cela se combine à une certaine complexité dans laquelle le lecteur se retrouve entraîné. La valse des pronoms entremêle le moi, le toi et le il. Et le lecteur se retrouve du même coup pris à partie “comprenez-vous”.
Ainsi une chambre vide mais laquelle ? Une chambre à effacer ? À disparaître ? Et le vent et la lampe présents dès le titre du livre, que signifient-ils ?
Le vent efface, balaie. Entraîne les disparitions. La lampe renvoie à la lumière, mais il s’agit d’une “lumière artificielle” et donc laisse demeurer l’idée d’une possible disparition.
Cette chambre est-elle celle de l’écriture, du silence, de la souffrance ou est-ce une “chambre de morte” ? Ou une “chambre un peu vide secouée d’un peu de vent”.
Est-ce une chambre où se joue le drame ou la folie ? Une chambre où la lampe joue un rôle entêtant, et entre en opposition avec le vent qui demeure au dehors. Le vent s’enroule à la langue, l’entraîne d’un bord à l’autre de la chambre (d’écriture ?), la fait évoluer et donne aux mots différents sens possibles.
J’ai lu ce livre lentement. Puis relu pour en saisir la mouvance de la voix de Fanny Garin. Voix où j’ai rencontré intrigue et inventivité. À suivre assurément. »
Cécile Guivarch, Terre à ciel, juillet 2019« D’insolente syntaxe compressive perfusionnelle (“sauf une lampe qui est vraie dit-on cela // et sa couleur jaune qui s’étale et que quelqu’un éteint”), personnages principaux le vent (“avec le vent il pleut toujours cela efface”) et la lampe de peu de lampée, plutôt de simple récurrence – dans ce premier (de petit format) triptyque plutôt que recueil, Fanny Garin, par ailleurs comédienne et dramaturge, “trace” la maîtrise d’une écriture concentrant des effets de théâtre qui la gauchissent et l’arriment aux planches d’un lever de rideau. À cahots de chaos, des échanges de répliques se profilent dans l’innommé, le surligné. Pièce en trois actes dont le blanc serait le personnage principal et les mots secondaires, seconds d’aire et de “corps”. Pièce qui dépèce, rapièce et réinvente où il vente sans répit la poésie. »
Christophe Stolowicki, Libr-critique, 25 septembre 2019« Ce premier recueil de Fanny Garin, des disparitions avec vent et lampe, est un livre qui trouble. Il est de ceux dont la voix vous reste longtemps après l’avoir entendue, sans doute parce qu’elle est sensible au sens premier du terme, à savoir qu’elle vous ramène au plus près de sensations, d’une perception aiguë du monde. Également parce que ce recueil multiplie les points de vue, les regards, les possibles, et qu’en semant cette confusion qui est le propre du langage inconscient, il nous fait entrevoir un autre monde entièrement poétique où rien n’est ce qu’il paraît et où le sens se dérobe. Le regard est toujours tourné vers, s’il s’introspecte c’est dans un mouvement vers le dehors, pour faire entendre d’autres voix, faire voir d’autres lieux, saisir des fragments du monde plutôt que de soi.
Dans la première partie, toutes les parties du corps semblent se dévoiler ; c’est comme si la Fanny Garin montrait pour mieux faire disparaître ensuite, en introduisant des éléments étrangers au sein des images. Ainsi, les poignets se recouvrent d’algues, la peau du ventre file et les cheveux sont des chevaux dans le cou. La langue se propose d’emblée surréaliste, imprévue. Se pose la question du récit poétique : quel endroit, quel événement-fiction, quelles circonstances. Le lieu est clos : des mots parviennent, des histoires d’ailleurs surgissent au gré d’une conscience-inconscience, de l’incertitude d’un regard dessinant les contours d’êtres et de paysages, d’une chambre qui est peut-être le lieu de l’écriture, celui où tout se rassemble. L’on finit par voir la chambre (sans doute une chambre de morte), définie comme réelle, mais à la manière d’un tableau de Francis Bacon où les objets se tordent et où le visage s’offre multiple et aucun à la fois. Objets autour desquels la fiction tente de se tisser. Cependant quelque chose résiste, l’écriture est contrariée, tente de dire sans savoir si c’est ça qu’elle veut dire.
Ainsi dans une parole précise, intime, déroutée, la poétesse interroge le réel en interrogeant le langage, et dans ce double mouvement nous glissons dans les images : sur une chaise, à regarder une lampe qui n’est pas un arbre, à rêver d’eau et de vent après la disparition d’un corps, à être au cœur du lieu des résonances, qui transforme non seulement le monde extérieur, mais aussi le monde intime. Et c’est à mon avis le vrai enjeu de la poésie de Fanny Garin. Et ce risque pris – car c’en est un – vous laisse avec un goût de vent sur la langue, et la sensation d’avoir, un instant, regardé sous des paupières fermées. »
Julia Lepère, Poezibao, 7 octobre 2019