dit la femme dit l’enfant

Auteure
Christiane Veschambre
Récit
102 pages, 14 x 20 cm
Parution : février 2020

Publié avec le soutien de la région Bretagne

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 16,00

ISBN  978-2-490385-09-6 Catégorie 

Description

Chaque livre de Chris­tiane Veschambre porte en lui l’interrogation de l’écriture, ses mani­fes­ta­tions, sa néces­sité, son surgis­se­ment : d’où écrit-​on ? dit la femme dit l’enfant creuse cette ques­tion une nouvelle fois, sous la forme inat­ten­due d’un dialogue, voire d’une pièce de théâtre intérieur.
Une enfant appa­raît au seuil d’une pièce où se tient une femme. Elle reste à la lisière de cet « autre monde », une « mer de tapis ». « D’où viens-​tu » est la première phrase du texte, ques­tion que la femme pose à l’enfant. Un échange commence entre elles, oscil­lant entre le mono­logue inté­rieur et le dialogue ; la femme tutoie l’enfant et l’enfant s’en tient au pronom « elle » ou à « la dame », utili­sant quel­que­fois le vouvoie­ment (et une fois le tutoie­ment mais le quit­tant aussi­tôt). Les voix alternent, chaque fois ponc­tuées de « dit la femme », « dit l’enfant ». Toujours, elles se répondent.
La femme parle parfois au futur : elle sait (« le gilet que tu perdras »), mais pas l’enfant (« et, je ne le sais pas, cette igno­rance sera ma singu­la­rité »). Si la femme recon­naît l’enfant (« Tu es mon intime autant que mon étran­gère »), a peur de l’effrayer, si l’enfant hésite à fran­chir le seuil de l’inconnu(e), s’en protège en même temps qu’il l’attire, bien­tôt leurs deux « mondes », « celui où l’on écrit les livres » et « la vie de hlm » se révèlent moins oppo­sés, davan­tage poreux. C’est que le temps n’est pas linéaire ici : présent, passé, futur se croisent, se superposent.
Plus on avance et plus on assiste à la super­po­si­tion (avant que les voix n’en fassent plus qu’une) en même temps qu’à un retour­ne­ment : davan­tage que l’enfant qui doit arpen­ter l’étranger qui s’ouvre en elle, c’est la femme qui se sent accu­lée sur le seuil : « Tu es au bord. Moi aussi. Pas le même. » Et c’est bien de cela qu’il s’agit pour la femme, « reve­nir là où j’étais quand tu étais là aussi », « pour que trouve voix l’incommunicable » « par l’usage humble et tendu de ma langue commune ».
Sans doute Chris­tiane Veschambre ne se sera-​t-​elle encore jamais autant livrée, bien que tout en pudeur, sur les origines intimes de son écri­ture, se retour­nant sur ses chemins, ré-​arpentant ses traverses. Et l’on ne peut que reprendre ce très beau paral­lèle qu’elle fait avec La Jetée de Chris Marker : la femme retourne au bout de la jetée, main­te­nant de toutes ses forces ce surgis­se­ment en elle, cette émotion jamais éteinte « poing serré, resserré autour de la langue qui file alors comme la lanière du fouet lorsqu’elle est libérée ».

dit la femme dit l’enfant a été sélec­tionné pour le prix des Décou­vreurs 2020 – 2021.
Voir le Cahier d’extraits proposé par Les Décou­vreurs.

Notes de lecture

« Je l’ai déjà fait par le passé1 mais c’est toujours une épreuve de rendre compte d’un récit de Chris­tiane Veschambre parce qu’il y a ce que j’appellerai “une bulle de lecture” qui nous entoure et qu’il est diffi­cile de retrans­crire quand on en sort. La bulle éclate, le livre est terminé il faut le ranger et le cours de la jour­née reprend ses droits. Diffé­rem­ment peut-​être parce que le temps du livre, de sa lecture d’une traite, la vie réelle et maté­rielle semble avoir disparu, s’être évapo­rée pour nous lais­ser seuls tout à notre écoute de la voix d’une auteure qui, je me le demande, n’écrit pas ce qu’elle veut mais ce qu’elle doit.
Cette ques­tion, je me la pose davan­tage encore avec son dernier livre, dit la femme dit l’enfant, où s’ins­talle un échange inat­tendu entre ces deux “elles” qui alternent entre le dialogue et le mono­logue inté­rieur. Des ques­tions parce que d’abord loin­taines l’une de l’autre, “Tu me regardes comme l’étrangère que je suis et nul ne peut me reve­nir plus que toi”, la femme et l’enfant se jaugent sans se brus­quer, au passé, au présent, au futur avant que leur deux mondes finissent par se rejoindre ; leur voix à l’unisson l’une de l’autre mais aussi toujours sépa­rées : “Tu es au bord. Moi aussi. Pas le même.” Deux bords rejoints par le verbe “dire” qui rythme le récit non sans rappe­ler Les vagues de Virgi­nia Woolf où là aussi “dit Rhoda”, “dit Bernard”, “dit Neville”, “dit Jinny”, etc.
La compa­rai­son entre les deux pour­rait s’arrêter là mais on retrouve dans le récit de Chris­tiane Veschambre une angoisse qu’elle n’avait encore jamais livrée aupa­ra­vant et dont elle semble se défaire par les mots […].
Un livre tout en profon­deur dans lequel l’auteure, “provi­soi­re­ment adja­cente à l’autre monde”, n’hésite pas à faire tanguer le passé et où chaque mot semble se retour­ner sur les années tracées. Le temps s’est enfui mais le livre est parvenu à l’immobiliser. Un pied sur le seuil, l’autre sur le bord, la femme au bout de la jetée semble plus que jamais libé­rée de ce qui l’effrayait : “je me tiens sur le seuil, un drôle de seuil, au bord d’un monde qui n’est plus l’autre monde, celui que j’appelais l’autre monde, mais celui-​là je ne l’appelle pas, il ne me regarde pas, il a la face noire de l’incompréhensible, il ne veut que m’effrayer, mais il ne peut pas me faire peur, il ne me connaît même pas.” »
Benoit Colboc, « Du seuil au bord, un monde », Lundiou­mardi, 10 mars 2020
1. Voir : Lundiou­mardi du 13 mars 2018.

« […] son livre met en place un dispo­si­tif formel permet­tant l’entrelacement, l’écho, le dialogue contra­pun­tique entre deux voix. Se super­posent de manière orga­ni­sée et se répondent de manière croi­sée deux lignes mélo­diques distinctes n’ayant besoin ni de visages, ni d’identités, ni de tirets et encore moins de guille­mets. Théâtre d’ombre : deux masques prennent la parole et s’adressent aux femmes et aux enfants que nous sommes tous, hommes, pères, fils compris, par intermittence.
[…] Chaque para­graphe fait entendre l’une des voix, dont le son, mat, est celui de l’écrit. Cepen­dant cette découpe auto­rise des flot­te­ments et des glis­se­ments : la femme a été un enfant, l’enfant sera un jour une femme. Ce sont les consciences, ici, qui parlent, et elles sont portées, souf­flées par l’inconscient. Consciences tempo­relles incar­nées en deux âges diffé­rents, consciences qui se confondent parfois, tant l’inconscient, lui, n’a pas d’âge, et ne connaît pas le temps. D’ailleurs derrière ces deux âges se profilent d’autres étapes cruciales de la vie : celui de l’adolescence marqué par la venue des règles, celui de la vieillesse dont la silhouette, ici, est asso­ciée à l’incommunicable.[…]
Écrire, cepen­dant, touche celui qui est ou se croit protégé. Toucher n’est pas “cares­ser” mais “concas­ser” : il s’agit de réduire une matière solide — l’héritage, massif, brutal, impo­sant — en petits frag­ments, soit, ici, cette série de deux fois douze textes qui existent, se laissent saisir, se coulent dans le dire. Fragiles, ils ont néan­moins l’audace de vouloir connaître les vivants, tout en accep­tant que les morts, eux, conservent leur part de mystère.
Le livre s’ouvre sur le motif du terrier et se ferme sur celui de la grotte. Nous sommes des animaux certes, mais nous avons aussi la possi­bi­lité de sortir, de nous désen­chaî­ner, de nous retour­ner. Platon, déjà, le racon­tait dans le mythe de la caverne. Il n’y a pas d’arrière-monde, pas de monde derrière ce monde-​ci. Et cepen­dant le terrier comme la grotte, abris confi­nés, laissent s’échapper des voix, des silhouettes, des corps et autant de pers­pec­tives narra­tives. Ce sont la femme et l’enfant qui le disent… »
Anne Mala­prade, Poezi­bao, 27 mars 2020

« Chris­tiane Veschambre nous entraîne dans ce petit miracle-​là, propre à son écri­ture, super­po­sant le temps, le présent, le passé, le futur. Accueillant ce qui surgit, venu du fond du corps et de la parole, par la présence autant que par l’absence, par les émotions souf­flées par le vent. […]
S’agit-il de reti­rer les murs qui existent entre les mondes ? Il se pour­rait, car dans la deuxième partie du livre, l’enfant tutoie la femme. Puis les deux voix se super­posent, prennent posses­sion du temps et de l’espace.
“Nous sommes à l’intérieur du temps comme à l’intérieur de l’espace, qui n’a pas d’intérieur puisqu’il n’a pas d’extérieur.”
Ainsi une réponse à ce que pour­rait être l’acte d’écrire, ce qui “atteste du passage de vie secrète en nous, atteste de ce qui n’existe que pour nous”. La femme et l’enfant ne sont qu’une seule langue commune. C’est cela écrire. Ca commence et ça conti­nue, tant que “je suis en vie”. »
Cécile Guivarch, « Hep ! Lectures fraîches », Terre à ciel, avril 2020

« Rares fina­le­ment sont les livres qui boule­versent. Non de cette facile émotion qui nous traverse au spec­tacle ou à l’évocation de ces situa­tions où la vie dont nous nous croyons proches se voit rava­ger, violen­ter, muti­ler, contra­rier, par l’ordre natu­rel ou poli­tique des choses. Mais de ce saisis­se­ment intime, de cette conso­lante tris­tesse, que produit la lecture d’un texte dont le filet lancé de phrases parvient à rame­ner à la conscience quelque chose en nous de l’épaisseur frémis­sante et incom­mu­ni­cable de la vie.
Ceux de Chris­tiane Veschambre sont de ceux-​là. Dans ce tout dernier ouvrage que publient les belles éditions isabelle sauvage, deux paroles s’échangent de part et d’autre d’une fron­tière en prin­cipe impos­sible à traver­ser, qui est de temps. Qui est aussi celle qui sépare les vivants et les morts. L’enfant qu’elle a été se tient devant une femme parve­nue au crépus­cule de sa vie au seuil de la maison qu’elle habite, trouant par sa présence fantas­mée l’univers d’habitude et la consis­tance plus ou moins assu­rée de sa vie.
[…] Si bien entendu, dans sa recherche du moi perdu, le dispo­si­tif imaginé par Chris­tiane Veschambre lui offre toute lati­tude pour reve­nir, comme elle a l’habitude de le faire, sur ses origines fami­liales, de ravi­ver bien des atmo­sphères, comme bien des détails précis de son exis­tence passée, comme de faire le point aussi sur ce qu’elle est deve­nue, notam­ment par ce que lui auront apporté sa curio­sité artis­tique, sa pratique person­nelle de l’écriture, sans oublier la présence à ses côtés d’un compa­gnon aimé, les choses comme toujours chez Chris­tiane Veschambre vont plus loin. Plus loin que les pitto­resques évoca­tions sur lesquelles elle s’appuie, plus loin que les consi­dé­ra­tions sociales même majeures qui ne sont jamais absentes de ses réflexions, plus loin au fond que le simple contenu de matière signi­fiante, que chacun trou­vera à l’envie, dans ses livres.
Alors pour reprendre l’intitulé d’un de ses précé­dents livres de poèmes, quelque chose approche, qui relève cette fois de la commune, vacillante et terri­ble­ment émou­vante présence d’un temps qui ne tien­drait plus seule­ment à celui des montres et des horloges. Mais à cette dispo­si­tion subjec­tive qui fait ici le noyau secret d’une écri­ture qui rassemble. Et comme dans la chaleur fragile peut-​être et hasar­deuse d’un vieux poêle au matin, ramène autour d’elle son petit peuple de fantômes, d’êtres chers, d’aspirations, de curio­si­tés et d’appétits illi­mi­tés de vivre. Repre­nant corps ou plutôt mouve­ment, batte­ments silen­cieux de signes, sur les parois de ce livre-​grotte, dont son auteur aura fini par faire le seul, unique, monde. Qui leur soit quelque peu commun. »
Georges Guillain, « Dit la femme dit l’enfant. Chris­tiane Veschambre à la rencontre de son moi perdu. », Les Décou­vreurs, 3 avril 2020

« Soule­ver le “vent de l’émotion” qui porte à écrire : telle est, de livre en livre, la recherche inlas­sable de Chris­tiane Veschambre. Telle est aussi celle de dit la femme dit l’enfant – sans majus­cule et sans point final – qui se situe expli­ci­te­ment dans la conti­nuité d’Écrire un carac­tère (2018) dont une phrase sert ici d’épigraphe et d’introduction :
Écrire revient par la brèche – une trouée dans l’enceinte forti­fiée. Par exemple, tout à coup une enfant se tient dans la pièce où on était assis… Certes on est seul à la voir mais elle est si réelle, d’une réalité augmen­tée, on n’en parle pas, on est requis de lui parler, de l’écouter, c’est-​à-​dire d’écrire.
[…] Des évoca­tions frag­men­taires du passé de la femme ‒ le présent de l’enfant ‒ appa­raissent, sans chro­no­lo­gie parti­cu­lière, au gré des vents : des vête­ments de laine, un poêle, les cabi­nets à la turque sur le palier d’un immeuble modeste, les mains d’une mère dite “sans profes­sion” qui fait le ménage chez les autres, et surtout la grand-​mère en qui le lecteur recon­naît celle qui “n’avait pas appris à recon­naître sur le papier les signes du langage” de Basse langue (2016). Pour l’enfant, cette grand-​mère est “l’incommunicable” qui dépose en elle quelque chose qu’elle ignore, “et, je ne le sais pas, cette igno­rance sera ma singularité.” […]
L’opposition du grume­leux et du lisse qui animait Basse langue devient à la fin de ce parcours oppo­si­tion du rythme et de l’immobilité. Jamais l’écriture de Chris­tiane Veschambre n’a épousé autant son propos que dans cette plon­gée inté­rieure où se brassent passé, présent et futur, chaque réplique de cet étrange dialogue ouvrant un “passage de vie secrète en nous” dans le geste même d’écrire. »
Natha­lie de Cour­son, Poezi­bao, 6 avril 2020

« La femme parle au présent, quelque fois au futur, les dialogues se mêlent aux mono­logues inté­rieurs, les temps s’entrelacent et s’imbriquent, les chemins de l’écriture s’exposent et se dissi­mulent. Les miroirs des mots résonnent dans l’ombre des pensées furtives…
Une langue peut-​elle être confi­née à un seul usage ? La nuit permet-​elle de mieux devi­ner et aper­ce­voir ? “Dois-​je me tenir toujours au bord, dit la femme, pour que tu te tiennes au seuil ?”, que faire des ques­tions sans adresse ?
Le connu et l’inconnu, l’absence de vocables pour cet autre monde, les mots qui ne sortent pas de la bouche mais qui se trouvent peut-​être sur les chemins de l’errance, les ouver­tures, “les choses humides enfer­mées moisissent”, le froid de l’autre espace, l’histoire remé­mo­rée, la guerre d’Algérie, l’odeur fade des corps fami­liaux, les fantômes, les inter­ro­ga­tions sur le voir, Une femme sous influence de John Cassa­vetes, les écrans noirs de nos nuits blanches comme le chan­tait Claude Nougaro, les paroles lancées à haut risque, “la blatte qu’est devenu Gregor Samsa”, les mondes de la réalité imaginaire… […]
Je trace les ponts perma­nents entre la litté­ra­ture et le cinéma, les bords et les seuils. Je déroule les images en me saisis­sant des allu­sions de Chris­tiane Veschambre. Je marche moi aussi sur cette jetée de Chris Marker. Je m’empare des images pour animer d’autres phrases. Je voyage immo­bile et marche dans ces paysages à peine animés. J’apprécie “la burlesque maté­ria­lité” des corps et des voix, le corps sexué et sexuant, ce qui peut-​être vu “sur le seuil”, peut-​être un instant puis-​je être cette femme et/​ou cette enfant. Je perçois “l’usage humble et tendu” de la langue commune… »
Didier Epsz­tajn, Entre les lignes entre les mots, 10 avril 2020

« “Dans tout ce que j’écris, presque tout, il y a ma grand-​mère, et sa fille, c’est pour ça que j’écris. Pour ça : faire parler ça, pour donner de la langue à ça, qui n’a pas de nom, qui est comme le foyer très enfoui de combus­tion très lente, avec érup­tions impré­vi­sibles, qui tient au chaud ce que je dois écrire.”
Impos­sible, en lisant ces lignes, de ne pas songer à Natha­lie Sarraute, à la toute première phrase d’Enfance : “Alors, tu vas vrai­ment faire ça ?”. Je risque ce rappro­che­ment même si l’analogie entre les deux auteures ne tient pas au-​delà que dans ce ça.
L’écriture de Chris­tiane Veschambre puise toute sa source dans ses origines fami­liales. Dans “l’impasse noire” d’un village où une enfant sans père vient au monde. “Une enfant d’impasse ”, sa propre mère. C’est ce ça qui ne se nomme pas qu’il faut faire adve­nir, qu’il faut exhu­mer. Il faut donc creu­ser. Pour que parvienne à la lumière ce qui jusqu’alors persis­tait dans l’ombre, telle une faille infran­chis­sable. Car écrire est bien ce travail de taupe qui se fait à l’aveugle, dans l’incertitude de ce qui va surgir. »
Angèle Paoli, « Le ça de Chris­tiane Veschambre », Terres de femmes, avril 2020

À propos de dit la femme dit l’enfant, Gene­viève Peigné a écrit à l’auteure :
« Je viens de lire dit la femme dit l’enfant.
Projet essen­tiel, néces­saire, de cerner ce rapport de l’enfant et du présent de soi. Moteur constant d’écriture que cette rela­tion, me semble t‑il. Combien de fois n’ai je pas senti que c’est lorsque ce qu’on écrit reçoit l’aval de l’enfant (ce qui appa­raît quel­que­fois dans les rêves) qu’on est au juste lieu ? J’aime le ton de gravité, la tenue, le pas à pas du texte. Qu’il tienne à la fois les rênes de l’intime et du monde social qui façonne, aiguillonne ou ligote l’intime. D’y retrou­ver la toute puis­sance – redou­table, bien­fai­trice – de l’enveloppement mater­nel. Livre exact. Merci. »

Et Ariane Dreyfus :
« 
C’est un livre de pensée véri­table, pas de narra­tion super­fi­cielle ni de pensées conve­nues, comme beau­coup de livres qui font revivre l’en­fance de leur auteur. Ce que d’ailleurs tu ne fais pas. Ce n’est pas l’en­fance que tu fais revivre, mais l’en­fant que tu veux regar­der et qu’elle te regarde aussi, et par le biais de ce double point de vue, appré­hen­der la courbe de la tota­lité de ta vie.
dit la femme dit l’en­fant est un livre d’ex­plo­ra­tion, que nous faisons avec toi, un livre d’in­tel­li­gence sensible. Je retrouve ta capa­cité à utili­ser des éléments pour­tant bien réels, concrets, qui font les décors de nos vies, par exemple le seuil, le tapis, la pous­sière, le piano, comme des pendules capables de nous orien­ter vers l’in­vi­sible, vers les émotions les plus ténues et indi­cibles. Grâce à cela, qui ne relève pas du méta­pho­rique ou du symbo­lique, tu mêles inex­tri­ca­ble­ment l’ana­lyse et le sensible, avec une clarté d’une déli­ca­tesse telle que tu peux te permettre d’abor­der toute la réalité de la vie, même les plus diffi­ciles à dire, comme ces moments dans les toilettes à la turque. Tu fais œuvre à la fois de connais­sance et d’émo­tion, et la compré­hen­sion ne s’ar­rête pas à ta personne, tu fais aussi œuvre poli­tique à certains moments, très souvent même.
Tenue constante de ton livre, dans lequel des présences exigeantes comme celle de Deleuze ou de Dickin­son, sans comp­ter les films, se confondent avec ta propre matière tout en conser­vant exac­te­ment leur finesse propre. Je ressens ton livre comme un immense travail, qui a dû exiger de toi une immense écoute et concentration. »

« Une rencontre. Ou comme une rencontre. Entre deux person­nages, qui sont d’abord surtout des voix, car leur présence l’un pour l’autre est mal assu­rée : présence de fantômes qui n’ont pas besoin de se rendre visibles, on les sait là, dans la pièce où l’on se tient. Voix qui mono­loguent chacune pour elle-​même plutôt qu’elles échangent. dit la femme dit l’enfant, le titre choisi par Chris­tiane Veschambre dit beau­coup sur ce qui attend le lecteur dans ce livre […].
Entre la femme, dont on sait très vite qu’elle écrit, et l’enfant, une distance, qui les fait appa­rem­ment étran­gères l’une à l’autre : distance physique, la petite se tenant selon la drama­tur­gie suggé­rée, à quelques pas du seuil, mais dedans et loin de son inter­lo­cu­trice ; distance histo­rique, chacune évoluant en un temps diffé­rent, chacune parais­sant comme rêvée par l’autre. Distance sociale avant tout : Ta maison est pour moi un terrier. Un terrier natal, dit la femme à l’enfant, laquelle les tapis empêchent d’avancer : Ils ne font pas richesse, non, ils font autre monde. Il y a chez Chris­tiane Veschambre tout un art de la sugges­tion, la rela­tion entre les deux person­nages se construit en douceur, et on ne peut qu’être sensible à la capa­cité de l’auteure de réin­ven­ter pour chaque livre une forme nouvelle, dépay­sante tout d’abord, pour en reve­nir néan­moins à des données auto­bio­gra­phiques connues, expo­sées déjà dans les ouvrages précé­dents : une manière de récom­pense aux lecteurs les plus fidèles : Lorsque je télé­phone à Noémie, elle me dit que j’ai la voix de José­phine, ma mère, confesse dès le premier chapitre la dame, comme signi­fi­ca­ti­ve­ment la désigne l’enfant, et renvoyant à un titre comme Robert & José­phine, au cata­logue des éditions Cheyne depuis 2008. […]
Et c’est bien la tâche que s’est donnée Chris­tiane Veschambre : d’écrire, afin d’être agréée dans les autres mondes, de s’inventer une langue d’écrivain pour proté­ger mon père et ma mère. »
Claude Vercey, Décharge, 17 juin 2020

Emma­nuel Falguières, réali­sa­teur du très beau film docu­men­taire Nulle part avant (2018), qui retrace des « morceaux de vie » de trois femmes, dont Chris­tiane Veschambre, a écrit à l’auteure :
« C’est un livre magni­fique. Dans les émotions qui circulent entres les pages, dans le dialogue, para­graphe à para­graphe, il y a une surprise inouïe à lire ces lignes qui te ressemblent tout à fait, qui sont “tout contre” l’écrivaine que tu es et simul­ta­né­ment si neuves, si diffé­rentes, si profon­dé­ment renou­ve­lées par l’abandon de l’étrangère, par l’apparition d’une petite fille que tu recon­nais comme je et comme autre. Le fait que ce pas-​ci fasse suite à Basse langue, comme Basse langue faisait suite à La griffe et les rubans, comme La griffe et les rubans faisait suite au Lais de la traverse – pour ne tirer que ce chemin-​là parmi les pages écrites par toi – est sidé­rant, comme est sidé­rant le “vivant de la vie”. Que trouve-​t-​on une fois traversé la terre noire du soubas­se­ment ? Une fois que l’on a fait signe à ce qui a appelé ? On retrouve le temps troué. Peut-​être était-​ce lui, le temps des hommes et des femmes, qui, déguisé comme dans les mythes grecs, faisait signe ? Un “batte­ment silencieux”.
J’ai trouvé dans ce texte une force, qui me semble être la tension de ce regard entre l’enfant et la femme dans la pièce aux tapis. Tout le livre s’arc-boute dans cette impos­sible et inévi­table rencontre. Comme La griffe et les rubans s’arc-boutait entre ses deux textes. Et là encore, tu tends des fils, qui ne seront jamais un pont, même s’ils veulent faire liens, entre ces deux piliers plan­tés dans le sol.
La force de l’enfant me fait penser que tu y as retrouvé l’inébranlable qui consti­tuait le fonde­ment du texte de “l’enfant-​ma-​mère”. Ainsi comme la photo de ta mère que tu recon­nais sans recon­naître, cet enfant que tu es te regarde, et porte sans le savoir la force de la non-née. »

« Deux voix s’interrogent, se répondent, s’accordent : la femme et l’enfant. S’agit-il de la même personne, à deux temps de la vie ? Je m’interroge encore. S’agit-il d’un récit auto­bio­gra­phique ? Ce n’est pas certain, même si les bles­sures semblent si réelles qu’on imagine l’auteure les ayant vécues ou perçues. On entend bien la présence de la mère de “la femme”, et même de sa grand-​mère, celle qui vivait dans La Maison de terre, livre paru en 2006 aux éditions Le Préau des collines. […]
On est loin du roman avec ce texte, on est dans une exac­ti­tude du mot pour le mot, un puzzle construit avec tous les essais néces­saires au tableau final.
À vous de voir si dit la femme dit l’enfant fait parler en vous, ce ça qu’il fait parler en vous. »
Fran­çoise Lalot, La Semaine de la poésie de Cler­mont, juillet 2020

« Dépas­sant toujours la mesure, la sépa­ra­tion qui advient de la nais­sance n’en finit pas d’être un gouffre, un gouffre irré­pa­rable. Cepen­dant le langage et la tendresse rattachent comme ils peuvent, progres­si­ve­ment, la mère à l’enfant, et c’est tout un monde qu’il faut appri­voi­ser, avec l’imagination que peut donner quelqu’un d’attentif et surpris. De cet éton­ne­ment d’un être face à un autre, sensé­ment le plus fami­lier, le plus instinc­tuel, Chris­tiane Veschambre a fait un beau livre, une recom­po­si­tion de ces deux inté­rio­ri­tés qui se trouvent, par la géné­ra­tion, en vis-​à-​vis, la mère et la fille (l’enfant parle au fémi­nin). Parfois, par un effet de cascade, la mère évoque sa propre mère, l’informe de la vieillesse, la répu­gnance face à la condi­tion infer­nale ; celle de l’ultime déca­dence corpo­relle, l’abandon de soi, comme il y en a eu jadis, précé­dent l’enfance, une sorte d’informe, mais qui, quand l’autre se désa­grège, avait à se regrou­per et prendre corps. »
Jean-​Claude Leroy, « Dit la femme dit l’enfant, l’en­fance croi­sée par Chris­tiane Veschambre », Media­part, 25 août 2020

« La struc­ture du livre est simple, et non tradi­tion­nelle. Un faux dialogue entre deux person­nages. La femme et la fillette parlent chacune leur tour. Ce sont moins des paroles dites que des paroles rappor­tées, comme des mono­logues inté­rieurs qui se suivent, avec parfois l’effet question-​réponse comme si le dialogue de sourdes lais­sait passer des propos audibles par moments. Dans cet affron­te­ment de regards à distance, chacune raconte son histoire, ses gestes, sa vie. Il y a corres­pon­dance, semble-​t-​il, malgré la diffé­rence d’âges. On est dans un théâtre inté­rieur où les didas­ca­lies sont inté­grées au texte. Un troi­sième person­nage sous-​tend ce face à face, repré­senté par la grand-​mère ici et un homme là, qui symbo­lise l’incommunicable. Que les deux actrices essaient de briser entre elles. La femme, la plus proche de l’auteure aujourd’hui : on n’écrit pas pour cares­ser, mais pour concas­ser. Concas­ser ce qui veut faire bloc, ce qui veut faire ordre… L’enfant repré­sente certai­ne­ment l’auteure aupa­ra­vant, lorsqu’elle restait à la porte de “l’autre monde”, celui des adultes en parti­cu­lier. Les deux voix vont finir par se mêler, se mélan­ger, pour n’en former plus qu’une seule. Et le dialogue abscons de se fondre en un soli­loque plus cohé­rent. Le futur de l’une, le passé de l’autre de se réunir dans un présent où l’origine du vivre et de l’écrire tente de prendre sens et d’expliquer les ques­tions qui tenaillent l’écriture de Chris­tiane Veschambre. Le lecteur est bien­tôt fasciné par cet échange âpre et tendu entre deux images d’une même personne et ne quitte plus ces approches paral­lèles de l’être, vecteur du temps, à la recherche de soi et de son énigme en réso­lu­tion… la phrase se glisse entre ma colère et ma honte, tombe en moi, s’enfonce dans mon sol sous-​marin, et remon­tera comme une bulle au réveil d’une jour­née perchée sur les échasses du temps depuis écoulé… »
Jacmo, Décharge, n° 187, septembre 2020