Anima(s) version(s)

Auteure
Jessica Gallais
Poésie
88 pages, 14 x 20 cm, dos carré cousu collé
Parution : février 2015

 16,00

ISBN  978-2-917751-51-0 Catégorie 

Description

Les mots butent, glissent, se disloquent et s’emmêlent… voici sans doute un premier constat à la lecture d’Anima(s) version(s). Comme si la langue – du moins, une espèce de norme de la langue, une conscience de celle-​ci – était travaillée avec violence, était violen­tée même. On comprend vite que cette destruc­tion linguis­tique qui carac­té­rise Anima(s) version(s) est le reflet de la lutte entre l’emprise exté­rieure (la société et ses habi­tudes bien-​pensantes…) et un soi-​même. Car avec ce livre, Jessica Gallais essaye de nous lais­ser entendre un être en construc­tion de chair et de désir. Et ce sont là des lieux de non-​sens, de hargnes érotiques, de charges sexuelles. Cela ne pouvait que produire cette dislo­ca­tion des mots et des corps, unis par un même destin.
« Le plai­sir est secon­daire ; seul compte le désir », nous dit l’auteure. Mais l’accès à ce désir est-​il possible ? Si cela était, le désir ne serait-​il pas en lieu et place d’une idole, d’une puis­sance, ou d’une pléni­tude sans reste ? D’ailleurs si le texte est guidé par un énon­cia­teur, un « je », il n’est pas dispen­sa­teur de senti­ments ou d’affects. Ce « je » n’exprime rien, il surgit ; il exhibe un possible chemin vers… quelque chose d’inqualifiable. Et c’est aussi­tôt un épar­pille­ment fébrile d’un sujet ballotté entre jouis­sance – qu’il faudrait entendre là comme un extrême – et impuis­sance dans le contrôle. Du coup, cette confron­ta­tion hésite entre angoisse et folie : n’est-ce pas là d’ailleurs l’un des enjeux du sexe ? Le désir comme un au-​delà du plai­sir, un sabbat où peau, sang, rites et accou­ple­ment se mêlent outrageusement ?

Notes de lecture

« Anima(s) version(s) est un livre lacéré ; le livre de la construc­tion par lambeaux d’un corps habité par la sexua­lité, par la conscience de chacune de ses parties comme point sexuel solli­ci­tant le réel et ouvrant sur des abîmes inté­rieurs de la conscience de soi. En effet, la construc­tion d’un monstre s’élabore sous nos yeux, un monstre para­doxal, car l’entité qui nait par méta­mor­phoses tout en se construi­sant est une entité aux formes ryth­miques variables et variées à l’envi, et qui, dans l’ardeur d’être et la multi­for­mité, recherche l’élégance de la beauté dans la “nuit sexuelle” qu’est la repré­sen­ta­tion de la réalité ; appa­ri­tion lente et certaine sur la page d’un monstre beau ; qui est une âme plurielle née des cendres téné­breuses de la poète ; qui hurle, crie, crisse, voire glatit, esquisse puis dessine un sexe stri­dent (comme un glatis­se­ment), est la maîtrise de sa propre dila­cé­ra­tion et de la couture de l’être déchi­queté. Car la construc­tion renais­sante passe par une béné­fique destruc­tion, proche de la tabula rasa. C’est un livre obscur, non pas dans l’écriture, qui est certes diffi­cile, mais nulle­ment hermé­tique, d’une obscu­rité ouverte. Un livre diffi­cile parce que exigeant, précis, mais très mysté­rieu­se­ment attrac­tif. […] Texte bestial et félin, cru et élégant, Anima(s) version(s) donne et invite à regar­der, donc, la nais­sance de sa propre mons­truo­sité, volup­tueuse, hissée-​issue du très fin fond de l’inconscient conscien­tisé, objec­tivé, peut-​être “l’antre” de la poète, pour qui “Vient alors le temps d’érotiser le monde /// Les yeux ouverts /// Les Monstres concrets”. […] Un livre ambi­tieux, “Créa­tion sera le (maître) mot” (réfé­rence à la Genèse), un livre démul­ti­plié, où le sens file, échappe, demande une part d’acceptation de l’illisibilité reflé­tée sur la page, qui est éroti­sée, au final, pour ce que les signes laissent devi­ner de béance. »
Jean-​Pascal Dubost, Remue​.net, 22 juin 2015

« De partout dans ce texte anti-​claudélien les mots deviennent le trait vagis­sant des chutes que le désir entraîne. […] Loin des guipures, des clichés, des cligno­te­ments d’enseignes la poétesse déplace le chant d’Éros. […]
[Les mots] affectent ici la visi­bi­lité du monde et son intel­li­gi­bi­lité. Liant les deux sexes de manière verti­gi­neuse, le phal­lus englou­tit la vulve où il est lui-​même englouti, tous deux conduisent de l’obscur à l’illimité en explo­rant les envers d’une réalité dont la face lumi­neuse ne contient pas tous les secrets. […]
La sexua­lité comme le langage reste le lieu de l’insécurité puisque ce qu’on y découvre permet aussi d’y discer­ner, de décou­vrir une peur dont il faut apprendre à recon­naître les arpents de lumière arra­chés à l’obscur. L’auteure rappelle combien il serait néces­saire d’apprivoiser cette clarté qui couve dans les cendres toujours inache­vées et encore incandescentes. »
Jean-​Paul Gavard-​Perret, « À bout de souffle », Sitau​dis​.fr, 30 septembre 2015

« Il n’existe plus de dentelles dans l’écriture de Jessica Gallais. Elle est vêtue de nu, de mots brisés de corps et rappelle que l’être est né d’une perte. […] L’auteure parle à travers le désir — et qu’importe le plai­sir. Seul le premier vit à décou­vert en complice du destin. L’écriture est son éten­due qui ouvre le jour du monde à la nuit. Les eaux y tombent d’en bas. Ciel et terre sont dans la même lumière argen­tée déser­tant le désert, exis­tant dans le hors, le trou d’attente et d’atteinte. De l’amant(e). Celle ou celui qui ne daigne pas voir le sablier dont le sable s’écoule ailleurs qu’en un présent “pur” (Proust). Dans une telle approche, les cauche­mars se diluent peu à peu. Le désir est un chat qui sort sa retraite entre la faille du blanc, sur la brèche d’un texte rare. Et qu’importe si l’écriture ne sauve pas, ne sauve rien.
[…] Dans ce premier livre fracas­sant, les mots s’entrechoquent hors des sentiers battus et selon un étrange sacer­doce. Ce dernier tient au ventre (euphé­misme) par la violence d’une destruc­tion langa­gière. Elle laisse la place aux forces d’Éros qui unissent les corps au peu qu’ils sont (mais ce peu est un tout).
[…] C’est dans le champ même de la sexua­lité que la poétesse ne cesse de creu­ser, faisant de l’imaginaire amou­reux et sexuel le lieu privi­lé­gié de l’exploration, au carre­four du monde exté­rieur et du monde profond : il n’y a pas seule­ment une face cachée (nocturne) du sexe mais cette face cachée est néces­saire à l’être. La poésie devient sa chambre d’enregistrement. »
Jean-​Paul Gavard-​Perret, « Anima vs Animus », lelit​te​raire​.com, 30 septembre 2015

« Les mots sautent et dérapent, taquinent la pupille. Ils tapent sur les nerfs du sens commun. Ils nous écla­boussent tel un foutre lexi­cal. Oh ! Que le bon sens se voyait bien rester au chaud et reconnu par tous comme installé à demeure ! Et voici qu’on le découvre, copieu­se­ment éperdu d’être le dindon d’une farce lucide.
[…] ici c’est l’embryon de la langue qui est opéré. L’avant du vivant – le non encore langage – le fœtal – est mis à nu. Et c’est beau.
Pas de pagi­na­tion. Cela aussi devient inutile. Une seule et même phrase répé­tée ? Décli­née ? Avide de rebon­dis­se­ments infi­nis ? Ou bien close sur elle-​même ? Une phrase merce­naire ? Enga­gée dans les tour­nants abrupts de la décré­pi­tude du moment ? Dans la guerre totale d’une direc­tion à trou­ver ? Dans le meurtre de la facilité ?
[…]
Dans anima(s) version(s), les substances-​mots et l’adjuvant-style forment presque une seule ph®ase, un tout compact et cohé­rent. Soutenu. Et pour­tant, sa construc­tion se disloque sous nos yeux à mesure qu’elle se raidit et se forme. Et se déforme. Et s’élève pour retom­ber en plusieurs décom­po­si­tions qui se recons­ti­tuent aussi­tôt en d’innombrables et fraîches colo­ra­tions, parfois quasi­ment animales. Leurs propos déversent en quan­tité des surgis­se­ments très élabo­rés. N’est-ce pas cela, inventer ?
Dans anima(s) version(s), on crie autre­ment. L’appellation se fait ajus­te­ment. Mise en place. On usine les impos­sibles. On sillonne on griffe le possible. Le poème rap/​t/​porte et tricote la plainte et le désir. Il n’est pas ques­tion de déve­lop­per. Ce texte n’a pas le temps. Il a à peine celui de dire l’étendue de l’arrachement. J’absorbe ces combi­nai­sons vaga­bondes pour mon plus grand plaisir. »
Marie Rous­set, CCP – Cahier critique de poésie # 31 – 2, 2 décembre 2015