Description
C’est du côté de la bête, du sauvage, des grognements, du terrier, que Roland Cornthwaite, par-dessus son histoire familiale, se tourne, érigeant le sanglier en emblème de liberté, contre le cochon polissé, dressé, dépecé, vidé de sens.
Contre la domestication ou, en l’occurrence, un « dérèglement de fam’fille », étant né (« sang lié ») d’un père dont la langue étrangère dut être tue, en « famille, la bonne, “la française”, la famille maternelle » (« parle pas c’t’oiseau / pas not’langue »). Comment s’inscrire dans cette lignée assignée unilatéralement, « avec elle, pour elle, contre elle », comment « oser // to lose her », la mère, comment vivre/rompre avec le « corps frontière […] toutes racines de terre souffrances / identiques semblables / tous hommes de nuit / même nuit » ? Comment dire « colère sur colère sur colère », sinon « renâcle[r] bâcle[r] la langue », celle qu’on l’enjoint de parler ? Sinon se construire à part soi une hurlangue ? Et oser le « miroir du risque » (« inversion du su- / jet du tu / et sortir par un je »). C’est un corps-à-corps, dès lors, un bégaiement rugueux « doigt sur percuteur stylo », où les jeux de mots déplacent sans arrêt la lecture d’un sens à un autre comme pour empoigner le lecteur, où l’humour a toute sa place également.
Car la colère ne saurait suffire, puisqu’il faut bien « sortir de cette ire tirelire l’ire lyre », et interroger ce grondement en soi, et hésiter, le calmer, le reprendre… Face à la mort de la mère notamment (« vu la déesse nue / sans fard ») : que faire avec ça, autrement ? « Tu(e », séquence plus émouvante, apparaît ainsi comme une transition, une pause. Elle s’ouvre sur le récit de la mort de la mère en un texte à elle adressé, posé, et le « tu » ne cessera dans les poèmes suivants de la séquence. « tue, c’est silence », et « tu as / avalé la nuit », c’est « le nu du temps ». Si « [ses] mains / pour pas d’au revoir », « peut-être réparer / le lien de soi à soi […] peut-être apaiser / un penser va-et-vient » ?
Quand « soir de sanglier / rejoint l’enfant », ne faut-il pas rentrer dans la comptine et la prendre pour ce qu’elle est, comme sont les contes, cruels ? Et « tête sortir miroir », accepter une fois pour toutes d’être, debout, « aux marges », titre de la dernière partie en guise d’épilogue : « aux marges / saccage (tu dis) / sa cage / ferme le mot ». Oui, dire pour « sort’ire », se débarrasser de ce qui, toujours, a empêché.
Notes de lecture
« Le mot fuit court comme le sanglier emblème
À nous de le rattraper de s’en emparer
De se préparer chacun
À sa propre défense
Quand “à cœur ouvert”
Tout partira sans retour »
Olivier Bonhomme, Poèmes d’actualité, 20 novembre 2021« En un temps où la langue française recule sur tous les fronts ou presque, Roland Cornthwaite, l’heureux homme, se plaint de son patronyme anglais. Il est vrai qu’il ne se prénomme pas Bill ou Jack mais Roland lourd d’Histoire, et que Cornthwaite à son articulation fait siffler le th, à l’encontre du chuintement franchouillard. Dont s’élève ce brillant, puits de culture sous ses dehors déjetés, premier livre tardif, d’un poète de l’entre-deux langues né en 1954 à Annecy de père britannique et de mère française. […]
De ce long poème entendez-vous l’anglais, l’accent absent, le fond d’accent, l’accent écrit, l’écrit du cri ? […]
Et soudain j’entends, je comprends, l’évidence me saute aux courtes gourdes esgourdes. Roland Cornthwaite, tout en montagnes russes d’accents toniques, ne parle pas le français de Malherbe ni de Racine, non plus que celui de Baudelaire, mais anglais en français. Anglais, pas américain. Franglais moins encore. Un bel anglais qui shake expire sur sa plèvre à vif.
En réparation de tant de colère, en coda de sa page de remerciements il fait figurer père et mère. En reconnaissance du hasard heureux de sa nativité. Assumant consomptif. »
Christophe Stolowicki, Sitaudis, 6 décembre 2021« Nous mettrons ce livre au contingent des tripatouilleurs de langue, et c’est un premier, vraiment très abouti. L’auteur a probablement bien travaillé avant. Invention de mots : “rose-cochonner”, “mammalia” utilisé comme en ritournelles. Un poète qui a de l’avenir dans la poésie sonore. »
Françoise Favretto, L’intranquille, n° 22, avril-septembre 2022