Description
Sur le métier est une reprise — revue et nettement retravaillée — d’un des « Entretiens infinis » que mène Florence Trocmé sur son site Poezibao avec des auteurs contemporains, au fil des semaines, et même des mois — ici de juin 2007 à novembre 2011. À travers ces questions, l’auteur répond — dans sa langue si singulière — à celles que beaucoup de lecteurs se posent : d’où vient le poème ? qu’y a‑t-il avant que celui-ci existe ?
Jean-Pascal Dubost y développe ce qui fait « métier » dans son travail de poète. Il y pourfend quelques idées courantes. La poésie n’est pas autobiographique (« “je” n’est digne d’aucun intérêt macrocosmique »). L’auteur fait appel à la fiction et à une nécessité : « m’éloigner de moi ». Cet appel à l’imagination « déclenche le souvenir, dont on ne sait plus, du coup, quelle est la part de l’imagination et la part de la réalité passée », au profit d’une « fiction probable ». On invente en quelque sorte un auteur qui fut, lors de son enfance, comme « bâillonné », d’où cet acte de violence, en utilisant la langue, en écrivant, « comme nécessaire acte de rupture avec l’enfance, dans la tentative d’être quelque chose (un auteur)…». Pas de passage du singulier à l’universel donc : mais « invention », car « se projeter dans l’universel, c’est balancer un ego gouverneur et surdimensionné à la face du lecteur », dire en quelque sorte « je suis le monde ».
Il n’y a pas plus « inspiration » : « l’écrire créatif est le moins du monde naturel » et « devient une décision », violente, face au « harcèlement sournois et quotidien […] qui incite l’homme à le priver de sa lucidité, à l’aspirer dans la dépossession de son intelligence ». Il faut travailler, nous dit Jean-Pascal Dubost, à « vouloir vaincre la réalité tendancieuse ». Pour cet acte, cette « bataille » — qui relève « d’un travail volontaire, d’une intention » —, pas mieux que le « métier » : là, l’auteur nous donne à voir ses inspirations — sa « bibliothèque » —, source de techniques ou puits lexicaux comme le sonnet rapporté des baroques ou la récurrence des citations en ses livres (« la citation est la lecture au travail »). Ainsi le poème devient une « structure dynamique » « qui engendre du langage, langage sur langage, par absorption totale ». Le poème n’est donc pas « une adresse de cœur à cœur », mais une « émotion intelligente » ; intelligence car il incite alors « à penser ».
Notes de lecture
« Que le lecteur adhère, refuse, partage, repousse, ou même seulement nuance, il est mis en éveil, amené à penser, à se situer, pas simplement à suivre. […] La richesse de ce livre tient à la circulation constante entre la réflexion de l’auteur sur son propre travail et sa réflexion plus générale sur la poésie, la littérature, la langue. »
Antoine Emaz, Poezibao, 22 septembre 2014« une méditation singulière sur la provenance du poème et son avant-genèse […], insoumission excitante pour l’esprit. »
Alain-Gabriel Monot, Hopala !, décembre 2014« … titre superbement hybride – d’où surgissent à la fois le tissu, l’outil et le savoir-faire […]. Le poète réaffirme ici sa préférence pour “le nerf lyrique” à tendre plutôt qu’à détendre… et l’impératif dialogue de l’écriture “avec la mémoire littéraire générale et avec sa propre mémoire littéraire”. Du mélange, J.-P. Dubost – “métis rythmique” de sa propre assertion – fait sa poétique foncière, revendiquant le “ravaudage”, le tissu de “compilations diverses”, de superpositions “de registres de langues, du passé et du présent linguistiques, de citations…”. C’est aussi de la technique du compost, autre alliance, que J.-P. Dubost fait son terreau dans sa tenace ambition de “survécrire”. De fines insertions qui font de ces entretiens un tissu de mille fils, dense et précieux. »
Étienne Faure, CCP, Cahier critique de poésie, #30 – 4, 5 août 2015