Description
Nii Ayikwei Parkes, fondateur de flipped eye publishing, présentait ainsi Où j’apprends à ma mère à donner naissance : « La grandeur de ce recueil, ce qui donne aux poèmes leur troublante splendeur, c’est l’habileté de Warsan Shire à évoquer, avec une éloquence simple et bouleversante, ce monde voilé dans lequel se déploie le sensuel, à revers du récit dominant de l’Islam ; faisant sienne les vérités autrement plus nuancées des temps anciens. »
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Notes de lecture
« Comment ne pas se pencher en premier lieu sur le titre Où j’apprends à ma mère à donner naissance. Un temps.
Il n’est pas facile d’évoquer la sensualité ou la violence discrète des mots, des situations ou les rythmes impulsés par la sonorité des phrases lues à haute voix. Sensualité et violence…
“Elle se mouillait un doigt pour dessiner l’océan
là sur son poignet, et l’embrassait,
donnait à cet océan son nom à elle.”
Juste des bribes comme sensation ou résonance, entre les mots…
Des mains, une bouche, le sang du pigeon, le sexe, l’exilée de sa peau, le visage de la nostalgie, le souvenir des cendres, ces oncles, les hommes entre les jambes, “naguère j’étais pareille à toi”, les épices, pour visage “une petite émeute” et pour mains “une guerre civile”, un camp de réfugiés derrière chaque oreille.
Je souligne Feu, ce lit partagé, les paillettes et le sang, cette femme aspergée d’un liquide inflammable et qui dans une étreinte craque une allumette, et un autre disant :
“Les chambres dans cet hôtel sont torrides.
La nuit dernière au lit je t’assure
mon corps était en feu”
Un récent recueil dans une nouvelle collection qui deviendra rapidement, je l’espère, une amie pour les lecteurs et les lectrices curieuses de ces mots agencés par des poètes si proches et si lointain-e‑s. »
Didier Epsztajn, Entre les lignes entre les mots, 8 avril 2017« Ce livre fait partie de la nouvelle collection aux éditions isabelle sauvage, “corp/us”, dirigée par Sika Fakambi. Collection, qui selon la présentation de l’éditeur, permet à la voix et à la parole, incarnées et sonores, de donner gestes à la langue pour une cartographie de l’être déplacé au monde. Poèmes affiches, poèmes sonores, cartographie panafricaine permettant ainsi de faire connaître, ici, Warsan Shire pour la première fois traduite en français de l’anglais. Où j’apprends à ma mère à donner naissance rassemblent des poèmes qui racontent des histoires de femmes (premier baiser, premières règles, épilation…) Poète somalie et britannique, Warsan Shire a grandi en Angleterre mais rend langue à ses grands-parents, aux femmes de son pays. La langue, le territoire, l’identité occupent une place centrale. L’image de la femme africaine, sensuelle, pleine de désir, mais aussi dominée par l’islam est au fil du livre remplacée par la femme violentée et par les violences faites aux migrants. Ainsi, un plus long poème est intitulé “Conversation à propos de chez soi (au centre d’expulsion)” où est dit sans détours la façon dont sont accueillis les réfugiés et le manque de tolérance. Ces poèmes sont simples et troublants. C’est le récit d’un monde où sensualité et religion se côtoient ainsi que le désir et la haine. Coup de cœur. »
Cécile Guivarch, « Hep ! Lectures fraîches ! », Terre à ciel, avril 2017« Warsan Shire est née en 1988 au Kenya de parents somaliens (ou somalie), elle a grandi en Grande-Bretagne. Ses poèmes, traduits de l’anglais, sont… implacables…
Sur le site Lexilogos cette acception : Littér. Que l’on doit inéluctablement subir. Ciel, lumière, pluie, soleil implacable ; destin, maladie, sort implacable.
C’est bien de cela qu’il s’agit dans ce recueil, le premier publié en France, de poèmes que l’on ne peut éviter de saisir, tant ils sont directs et frappent où ils veulent. Des poèmes qui ont quelque chose à rapporter, à tracer : ambiance en même temps que témoignages fragmentés, kaléidoscopiques. Des poèmes nourris par les mots d’une mère qui a parlé à sa fille, quand c’est elle, la fille qui écrit, après coup. Nourris de récits entendus ces temps-ci, entre Afrique et continent blanc, on ne sait bien, mais à chaque fois une situation précise et des morceaux de vie à vif. […]
L’univers de fond est arabo-musulman, avec des mots-marqueurs qui apparaissent ça et là, dont on retrouve la traduction dans les notes. On sent l’époque et l’ambivalence d’une situation, ce télescopage des valeurs où tout se brouille facilement, mais avec lequel il faut composer sans cesse. Et une jeune fille aux aguets, qui écrit, écoute les siens, va au devant d’eux, les questionne, mais ne se laisse rien conter. Elle n’a froid aux yeux ni au cœur. Les siens mais aussi les autres, qui sont tout autant les siens, depuis cet endroit où l’époque exsude. Des “poèmes de l’autre” pour ceux qui à aucun prix ne peuvent dire : on ne sait pas. Nous autres. »
Jean-Claude Leroy, Blogs. Mediapart, 7 août 2017« Témoin puis porte-parole de trajectoires contrariées, [Warsan Shire] parle pour celles et ceux qu’on entend peu. Ses écrits charnels, qui ont séduit Beyoncé, prennent au corps tout en le sublimant.
“J’ai la bouche de mon père et les yeux de ma mère ; sur mon visage ils sont toujours ensemble.” Deux lignes fulgurantes ouvrent le recueil de poèmes de Warsan Shire. D’une bouleversante simplicité, elles annoncent la puissance d’un regard qui dit dans un même vers le tragique et le merveilleux, la violence des passions, la géographie à l’épreuve de l’histoire et les identités bousculées par l’exil. […] Ce titre en forme de palindrome fait trôner dès la couverture la figure féminine telle qu’elle revient souvent dans les poèmes de Warsan Shire, à la fois brave et vulnérable, exaltante et exaltée, à rebours des adversités […] Leurs corps, audacieux mais rarement propriétaires, deviennent zones de conflits, d’invasions, de mensonges. Mais ce sont également les lieux de la mémoire – blessée, fantasmée ou réconciliée. Ils disent le souvenir de gestes précieux nichés dans les rides d’une main et les filiations perdues, quand la “beauté ici n’est pas beauté”, quand le “corps brûle de la honte de n’appartenir pas”. […] Où j’apprends à ma mère à donner naissance est un gynécée de papier. Bouches, cheveux, tétons, doigts, cuisses et cœurs y ondoient sous les voiles sensuels de l’islam, tendus vers la conquête d’une liberté que les traditions, les guerres et les violences sociales ne suffisent pas à atrophier. Nostalgique mais sans pathos, narrative et poignante, sa poésie est un enchevêtrement magistral de désirs profanes et d’allégeances sacrées. Ou la preuve de l’ancestrale complémentarité de ces deux rives, en poésie comme dans la vie. »
Salomé Kiner, « Warsan Shire, la poésie à corps écrits », Le Temps, 11 août 2017« L’intimité, le désir et la sensualité sont vécus avec fougue ou discrétion, selon le degré d’intensité qui s’empare des corps. La souffrance n’est jamais loin. Pas plus que la mort, qui rôde à proximité des chambres ou des camps (ceux des migrants) qui restent les lieux où se situent nombre des poèmes de Warsan Shire.
[…] Où j’apprends à ma mère à donner naissance est le premier livre de Warsan Shire traduit en Français. Ce bref ensemble (40 pages) est extrêmement percutant. D’une limpidité et d’une force éclatante. »
Jacques Josse, jacquesjosse.blogspot.fr, 1er septembre 2017« La poétesse vit aujourd’hui à Los Angeles. Avec 37 000 followers sur Instagram et à peu près le triple sur Twitter, elle est une vraie poète moderne de son époque. Vieux tubes de Kendrick Lamar, commentaires sur ses séries préférées, photos de sa famille et coups de gueule engagés, ce sont là toutes les inspirations que l’artiste poste sur les réseaux sociaux et que l’on retrouve dans ses poèmes.
Son parcours est marqué par deux emblèmes très contemporains : Tumblr et Beyoncé. Elle a en effet longtemps publié des extraits de son travail sur un blog, c’est comme cela qu’elle s’est fait connaître sur le web. […]
Dans ses poèmes Warsan Shire raconte des histoires de famille, d’amour, des drames, personnels ou universels comme les migrants ou les abus sexuels. Elle parle aussi de confiance en soi, de fierté, de tradition, de solidarité… autant de sujets qui touchent tout le monde. Les images sont percutantes. […]
Alors qu’elle avait déjà gagné plusieurs prix littéraires autour du monde, la chanteuse Beyoncé a eu un réel coup de cœur pour les poèmes de Warsan Shire, elle lui a donc confié une partie de l’écriture de son album Lemonade. […]
La chanteuse veut s’imposer aujourd’hui comme une icône de la voix féministe. Ses concerts, ses textes et ses clips le prouvent : la diva exploite l’image d’une femme puissante, fière des origines et de son corps, une image qui fait écho aux femmes des poèmes de Warsan Shire. […]
À la différence de l’icône, le féminisme de la poétesse n’est lui ni glamour ni opportuniste, il donne simplement la parole à des femmes fortes et inspirantes qui s’affirment : la mère célibataire, la sœur mariée de force, la grand-mère veuve de guerre… Autant de personnages qui existent par leur corps dont l’histoire parle d’interdits, de religion, de discrimination et de racisme. »
« Warsan Shire, la poétesse anglo-somalienne qui a inspiré Beyoncé », Rts.ch, 21 septembre 2017« Quand j’ouvre le recueil, je ne m’attends à rien. Je n’ai même pas l’intention de lire, j’ouvre le livre à cause de son titre que je comprends de travers : je donne naissance à ma mère.
La phrase en exergue est troublante de candeur “J’ai la bouche de ma mère et les yeux de mon père ; / sur mon visage ils sont toujours ensemble” Le premier poème, court, de trois vers, est frais et caustique. Ensuite on plonge dans tout autre chose : de sensuel, de violent, de sanguin, – mais de féminin.
C’est bien un autre monde qui nous parle en ces mots, d’autres cultures, d’autres langues, et toujours multiples, métissées, complexes, denses et odorantes. On ne sait pas où l’on est, cela fait appel au fond de soi. Bien sûr, on n’a pas lu la quatrième de couverture, qui nous aurait donné des clefs, des repères. On peut ne pas en vouloir, s’assurer après. On préfère entrer directement dans le vif du sujet, comme Warsan Shire, poétesse somalie et britannique, née en 1988, vivant à Londres, nous invite à la faire, avec une hospitalité étouffante, exubérante.
J’ai en tête des femmes aux robes merveilleuses, drapées, aux bijoux argentés, des odeurs de maïs grillé, de cannelle, de parfums suaves, des dattes sucrées. En lisant des mots, on voit, on entend, on sent, on côtoie des personnes, leurs corps malmenés ou aimés, frottent et froissent joie et douleur ensemble. […]
Certes la vie est prosaïque, la chair n’est jamais lasse, ces vers bien charpentés nous emportent et nous offrent leur vitalité. Ils nous regardent droit dans les yeux, sans faillir, et il est difficile de ne pas rougir, quand les mots fouettent le sang et stimulent la pensée. […]
On perçoit dans l’accent des mots un regard de femme sur le monde des hommes et des femmes, ce qui ne veut pas dire que les femmes sont d’une seule voix, mais qu’il y a quelque chose à décrypter dans cette langue là aussi, à côté de laquelle on pourrait passer sans voir. […]
Saluons la traduction de Sika Fakambi qui sait si bien donner du rythme à sa langue, si bien la chahuter, elle nous approche si bien du texte original que l’on ne ressent pas le besoin de le lire. »
Camille Loivier, Poezibao, 13 octobre 2017« Warsan Shire est née en 1988 au Kenya de parents somaliens et a grandi en Grande-Bretagne. Son livre est d’une violence rare par l’éloquence qu’il engage en un mixage d’Afrique noire et de monde blanc. Il devient un témoignage radical. La poésie qui ne se contente pas de photographier ou de décrire. Tout passe par le chant. Il déclive les façons de penser Sous le monde voilé, les mots qui le fendent prennent des doubles sens. Et lorsque l’auteur écrit : “À ma fille je dirai / Quand viendront les hommes, tu t’incendieras”, l’expression est volontairement équivoque. D’un côté la sensualité, de l’autre la mise en garde.
Nourris par les mots de la mère qui parla à sa fille, celle-ci répond ici en une sorte d’hommage pour témoigner de mondes pourris offerts par fragments à vif. Les femmes sont magnifiques en de superbes atours mais leurs corps certes aimés sont souvent malmenés quelles que soient les cultures. […] L’hospitalité des femmes est toujours grande. Elles frottent et froissent joie et douleur ensemble, la vie familiale est violente. Les coups pleuvent
L’auteure reste pleine de vie et de sang. Les femmes sont des bateaux ivres, ouvertes aux addicts du tout-venant puis laissées pour compte dès que leur date de consommation se périme. De plus, la guerre n’est jamais loi avec son lot d’exil. Tout est brassé en des invocations lyriques. Et si l’Afrique est vue sans fard, notre monde hypocrite est dégagé de sa myopie confortable. […] Warsan Shire écrit pour lutter contre l’apathie non pour réclamer la pitié. Elle appelle à la révolte et la lucidité. Car si la gueule des loups change de couleur, leur prédation demeure constante. Si bien que “l’exilée de sa peau” — dont le visage de nostalgie souligne le feu qui l’anime entre celui des canons et celui de l’homme entre ses jambes — rappelle que “Les chambres dans cet hôtel sont torrides. / La nuit dernière au lit je t’assure /mon corps était en feu”. Mais elle suggère, comme sa mère le fit, que la brûlure n’est pas toujours ce qu’on en attend ou en dit. »
Jean-Paul Gavard-Perret, « Sans concessions », Lelittéraire.com, 17 octobre 2017« On aurait envie de porter avec soi toujours des formules qui touchent à la vérité humaine la plus intime, du style de celle qui ouvre le recueil : “J’ai la bouche de ma mère et les yeux de mon père ; sur mon visage ils sont toujours ensemble.” […]
Vers et poèmes à chute, diamant brut du désespoir ou de la vie qui dévore les individualités bousculées par la guerre, la politique, la famille, la religion, la misère, l’exil, il faut vraiment lire Warsan Shire. »
Ismaël Dupont, Le Chiffon rouge, 24 octobre 2017« Nulle complaisance cependant dans Où j’apprends à ma mère à donner naissance. Les textes de ce recueil, écrits dans une langue précise mais sans sécheresse, vont droit au but, portés par un sens du détail efficace, rassemblant tout un récit parfois complexe en un objet, une image, une partie du corps. Warsan Shire plante des flèches, qui restent profondément fichées dans la mémoire du lecteur. Cette très jeune femme a accumulé les prix de poésie en Grande-Bretagne, notamment le très envié titre de Young Poet laureate for London. Si le naturalisme de ces textes est assumé, la maîtrise formelle, même en traduction, est totale. L’auteure emploie les formes les plus classiques, en particulier les distiques, tercets, quatrains et autres strophes régulières avec une virtuosité impressionnante sans rien sacrifier de l’émotion. On ne peut qu’espérer que l’effort de traduction se poursuivre, il serait dommage que cette voix ne soit pas plus entendue. »
Alain Nicolas, « Warsan Shire hors de la “gueule du requin” », L’Humanité, 27 juin 2018« Islam incarné dans les chairs de femmes, sublimes ; lexique somali vivace dans la traduction française, prise fertile de langue dans le corps du texte ; amour, sensualité, sexe cru, cuisson des mets, fragrance des aromates et des huiles oignant la langue et la peau féminine sur plusieurs générations ; comment des voix délicates fortissimo réveillent, révèlent chaque part d’âme, chaque particule de corps ; comment les hommes vieux, les jeunes hommes, les femmes anciennes, les femmes jeunes, les filles existent en sortant de la bouche de Warsan Shire – vivants récits s’incarnent à la violence, la fragilité, la force, la perte, la guerre, la famille, la religion, la migration et l’exil ; comment ces femmes dans le texte sont des boussoles d’os, de sang, de paroles affolées et de cœurs ignés ; catastrophe, dénuement, déracinement, promesse… celle de la résurrection d’un peuple qui naquit d’une mère et renaît d’une fille ?… par le pouvoir de ses mots de chair, chair de langue dans bouche ouverte sous l’œil fou, rendu extralucide, vision puissante de vie malgré les morts atroces. »
Jean Palomba, Terre à ciel, octobre 2018« La trace et la marque de l’origine, la trace et la marque des routes traversées, la trace et la marque de la terre où l’on tente de s’établir, où l’on s’essaie à naître de nouveau : toutes ces traces, toutes ces marques sont présentes dans la chair, sur les lèvres et dans la langue de Warsan Shire. […]
C’est donc la voix de l’Afrique comme femme, la voix de la femme africaine, ne sachant qu’espérer mais non désespérée, terrassée mais non annihilée, que fait entendre Warsan Shire et cette voix crie du sol, de la terre et de sa poésie jusqu’à nous. Cette voix nous interpelle, telle la voix d’Abel dont le sol a gardé mémoire après qu’il fut tué par son frère Caïn. […]
Tout cela, Warsan Shire le livre dans une poésie brute et crue parfois mais douce et sensuelle aussi, qui sait dire la violence des hommes (au sens générique mais aussi sexué du terme) et aussi bien chanter l’amour conjugal. […]
Poésie profondément charnelle tant elle est en quête, comme le dévoile le titre du recueil, d’un nouvel enfantement, d’une délivrance : il semble que Warsan Shire veuille à la fois assumer le sort et la langue de ses ancêtres, en premier lieu de sa mère, et les porter, les enfanter, les faire renaître sur une nouvelle terre, dans une nouvelle langue, terre et langue dans lesquelles l’on pourrait être, dans une harmonieuse et féconde union, chaste et sensuelle, pure et sauvage, somalie et britannique, africaine et européenne, musulmane et libre. […]
Mourir à une vie et une langue inoubliables, que l’on continuera de porter, afin de vivre dans le souffle d’un verbe nouveau, c’est peut-être ce que Warsan Shire appelle donner naissance et qu’elle veut enseigner à sa mère, à son peuple, à tous les exilés. Ne lit-on pas que le prophète qui séjourna dans un autre ventre, celui de la baleine, en sortit investi d’un nouveau langage et d’une nouvelle mission ? »
Frédéric Dieu, Profession Spectacle, 27 décembre 2018« “J’ai la bouche de ma mère et les yeux de mon père ; sur mon visage ils sont toujours ensemble.” Ainsi s’ouvre le recueil de Warsan Shire, sur la tonalité charnelle de ces poèmes nourris des récits d’une mère à sa fille. Ils nous racontent des histoires de femmes qui existent par leur corps (émois amoureux, ébats, abus sexuels, coups…) et font entendre la voix d’une femme africaine sensuelle, débordante de désir, mais aussi dominée par la violence des hommes. Car très vite, la candeur initiale est supplantée par la brutalité : “Le premier garçon qui a embrassé ta mère a plus tard violé des femmes au moment où la guerre a éclaté.” Cette alliance entre sensualité et violence, qui fait la force de l’écriture, culmine dans l’histoire de cette femme trompée, s’immolant sur le corps de son mari lors d’une dernière étreinte ; et elle ressurgit jusqu’à l’ultime poème, “En amour et en guerre”, par la formule équivoque : “À ma fille je dirai, / ‘quand viendront les hommes tu t’incendieras’.” La guerre est d’ailleurs omniprésente, et la femme violentée devient l’incarnation des violences faites aux migrants : “Je veux faire l’amour, mais j’ai les cheveux qui puent la guerre[…]. Je veux m’allonger mais tous ces pays sont comme ces oncles qui te touchent quand tu es enfant et endormi.” Écartelé par les hommes, à la dérive entre deux continents, le corps devient porte-parole des exilés : “Ta fille a pour visage une petite émeute, / ses mains sont une guerre civile, / un camp de réfugiés derrière chaque oreille, / un corps jonché de choses laides,”. On a alors envie de s’exclamer avec cette voix féminine : “vois-tu comme elle porte bien le monde” ! »
Isabelle Guilloteau, Dissonances, n° 39, hiver 2020