Où j’apprends à ma mère à donner naissance

Auteure
Warsan Shire
Titre original :
Teaching my mother how to give birth

Traduit par Sika Fakambi
Poésie
44 pages, 14 x 20 cm
Parution : mars 2017

 16,00

ISBN  978-2-917751-80-0 Catégorie 

Description

Nii Ayik­wei Parkes, fonda­teur de flip­ped eye publi­shing, présen­tait ainsi Où j’apprends à ma mère à donner nais­sance : « La gran­deur de ce recueil, ce qui donne aux poèmes leur trou­blante splen­deur, c’est l’habileté de Warsan Shire à évoquer, avec une éloquence simple et boule­ver­sante, ce monde voilé dans lequel se déploie le sensuel, à revers du récit domi­nant de l’Islam ; faisant sienne les véri­tés autre­ment plus nuan­cées des temps anciens. »

Voir le diapo­rama et écou­ter un extrait.

Notes de lecture

« Comment ne pas se pencher en premier lieu sur le titre Où j’apprends à ma mère à donner nais­sance. Un temps.
Il n’est pas facile d’évoquer la sensua­lité ou la violence discrète des mots, des situa­tions ou les rythmes impul­sés par la sono­rité des phrases lues à haute voix. Sensua­lité et violence…
“Elle se mouillait un doigt pour dessi­ner l’océan
là sur son poignet, et l’embrassait,
donnait à cet océan son nom à elle.”
Juste des bribes comme sensa­tion ou réso­nance, entre les mots…
Des mains, une bouche, le sang du pigeon, le sexe, l’exilée de sa peau, le visage de la nostal­gie, le souve­nir des cendres, ces oncles, les hommes entre les jambes, “naguère j’étais pareille à toi”, les épices, pour visage “une petite émeute” et pour mains “une guerre civile”, un camp de réfu­giés derrière chaque oreille.
Je souligne Feu, ce lit partagé, les paillettes et le sang, cette femme asper­gée d’un liquide inflam­mable et qui dans une étreinte craque une allu­mette, et un autre disant :
“Les chambres dans cet hôtel sont torrides.
La nuit dernière au lit je t’assure
mon corps était en feu”
Un récent recueil dans une nouvelle collec­tion qui devien­dra rapi­de­ment, je l’espère, une amie pour les lecteurs et les lectrices curieuses de ces mots agen­cés par des poètes si proches et si lointain-​e‑s. »
Didier Epsz­tajn, Entre les lignes entre les mots, 8 avril 2017

« Ce livre fait partie de la nouvelle collec­tion aux éditions isabelle sauvage, “corp/​us”, diri­gée par Sika Fakambi. Collec­tion, qui selon la présen­ta­tion de l’éditeur, permet à la voix et à la parole, incar­nées et sonores, de donner gestes à la langue pour une carto­gra­phie de l’être déplacé au monde. Poèmes affiches, poèmes sonores, carto­gra­phie panafri­caine permet­tant ainsi de faire connaître, ici, Warsan Shire pour la première fois traduite en fran­çais de l’anglais. Où j’apprends à ma mère à donner nais­sance rassemblent des poèmes qui racontent des histoires de femmes (premier baiser, premières règles, épila­tion…) Poète soma­lie et britan­nique, Warsan Shire a grandi en Angle­terre mais rend langue à ses grands-​parents, aux femmes de son pays. La langue, le terri­toire, l’identité occupent une place centrale. L’image de la femme afri­caine, sensuelle, pleine de désir, mais aussi domi­née par l’islam est au fil du livre rempla­cée par la femme violen­tée et par les violences faites aux migrants. Ainsi, un plus long poème est inti­tulé “Conver­sa­tion à propos de chez soi (au centre d’expulsion)” où est dit sans détours la façon dont sont accueillis les réfu­giés et le manque de tolé­rance. Ces poèmes sont simples et trou­blants. C’est le récit d’un monde où sensua­lité et reli­gion se côtoient ainsi que le désir et la haine. Coup de cœur. »
Cécile Guivarch, « Hep ! Lectures fraîches ! », Terre à ciel, avril 2017

« Warsan Shire est née en 1988 au Kenya de parents soma­liens (ou soma­lie), elle a grandi en Grande-​Bretagne. Ses poèmes, traduits de l’anglais, sont… implacables…
Sur le site Lexi­lo­gos cette accep­tion : Littér. Que l’on doit inéluc­ta­ble­ment subir. Ciel, lumière, pluie, soleil impla­cable ; destin, mala­die, sort implacable.
C’est bien de cela qu’il s’agit dans ce recueil, le premier publié en France, de poèmes que l’on ne peut éviter de saisir, tant ils sont directs et frappent où ils veulent. Des poèmes qui ont quelque chose à rappor­ter, à tracer : ambiance en même temps que témoi­gnages frag­men­tés, kaléi­do­sco­piques. Des poèmes nour­ris par les mots d’une mère qui a parlé à sa fille, quand c’est elle, la fille qui écrit, après coup. Nour­ris de récits enten­dus ces temps-​ci, entre Afrique et conti­nent blanc, on ne sait bien, mais à chaque fois une situa­tion précise et des morceaux de vie à vif. […]
L’univers de fond est arabo-​musulman, avec des mots-​marqueurs qui appa­raissent ça et là, dont on retrouve la traduc­tion dans les notes. On sent l’époque et l’ambivalence d’une situa­tion, ce téles­co­page des valeurs où tout se brouille faci­le­ment, mais avec lequel il faut compo­ser sans cesse. Et une jeune fille aux aguets, qui écrit, écoute les siens, va au devant d’eux, les ques­tionne, mais ne se laisse rien conter. Elle n’a froid aux yeux ni au cœur. Les siens mais aussi les autres, qui sont tout autant les siens, depuis cet endroit où l’époque exsude. Des “poèmes de l’autre” pour ceux qui à aucun prix ne peuvent dire : on ne sait pas. Nous autres. »
Jean-​Claude Leroy, Blogs. Media­part, 7 août 2017

« Témoin puis porte-​parole de trajec­toires contra­riées, [Warsan Shire] parle pour celles et ceux qu’on entend peu. Ses écrits char­nels, qui ont séduit Beyoncé, prennent au corps tout en le sublimant.
“J’ai la bouche de mon père et les yeux de ma mère ; sur mon visage ils sont toujours ensemble.” Deux lignes fulgu­rantes ouvrent le recueil de poèmes de Warsan Shire. D’une boule­ver­sante simpli­cité, elles annoncent la puis­sance d’un regard qui dit dans un même vers le tragique et le merveilleux, la violence des passions, la géogra­phie à l’épreuve de l’histoire et les iden­ti­tés bous­cu­lées par l’exil. […] Ce titre en forme de palin­drome fait trôner dès la couver­ture la figure fémi­nine telle qu’elle revient souvent dans les poèmes de Warsan Shire, à la fois brave et vulné­rable, exal­tante et exal­tée, à rebours des adver­si­tés […] Leurs corps, auda­cieux mais rare­ment proprié­taires, deviennent zones de conflits, d’invasions, de mensonges. Mais ce sont égale­ment les lieux de la mémoire – bles­sée, fantas­mée ou récon­ci­liée. Ils disent le souve­nir de gestes précieux nichés dans les rides d’une main et les filia­tions perdues, quand la “beauté ici n’est pas beauté”, quand le “corps brûle de la honte de n’appartenir pas”. […] Où j’apprends à ma mère à donner nais­sance est un gyné­cée de papier. Bouches, cheveux, tétons, doigts, cuisses et cœurs y ondoient sous les voiles sensuels de l’islam, tendus vers la conquête d’une liberté que les tradi­tions, les guerres et les violences sociales ne suffisent pas à atro­phier. Nostal­gique mais sans pathos, narra­tive et poignante, sa poésie est un enche­vê­tre­ment magis­tral de désirs profanes et d’allégeances sacrées. Ou la preuve de l’ancestrale complé­men­ta­rité de ces deux rives, en poésie comme dans la vie. »
Salomé Kiner, « Warsan Shire, la poésie à corps écrits », Le Temps, 11 août 2017

« L’intimité, le désir et la sensua­lité sont vécus avec fougue ou discré­tion, selon le degré d’intensité qui s’empare des corps. La souf­france n’est jamais loin. Pas plus que la mort, qui rôde à proxi­mité des chambres ou des camps (ceux des migrants) qui restent les lieux où se situent nombre des poèmes de Warsan Shire.
[…] Où j’apprends à ma mère à donner nais­sance est le premier livre de Warsan Shire traduit en Fran­çais. Ce bref ensemble (40 pages) est extrê­me­ment percu­tant. D’une limpi­dité et d’une force éclatante. »
Jacques Josse, jacques​josse​.blog​spot​.fr, 1er septembre 2017

« La poétesse vit aujourd’hui à Los Angeles. Avec 37 000 follo­wers sur Insta­gram et à peu près le triple sur Twit­ter, elle est une vraie poète moderne de son époque. Vieux tubes de Kendrick Lamar, commen­taires sur ses séries préfé­rées, photos de sa famille et coups de gueule enga­gés, ce sont là toutes les inspi­ra­tions que l’artiste poste sur les réseaux sociaux et que l’on retrouve dans ses poèmes.
Son parcours est marqué par deux emblèmes très contem­po­rains : Tumblr et Beyoncé. Elle a en effet long­temps publié des extraits de son travail sur un blog, c’est comme cela qu’elle s’est fait connaître sur le web. […]
Dans ses poèmes Warsan Shire raconte des histoires de famille, d’amour, des drames, person­nels ou univer­sels comme les migrants ou les abus sexuels. Elle parle aussi de confiance en soi, de fierté, de tradi­tion, de soli­da­rité… autant de sujets qui touchent tout le monde. Les images sont percutantes. […]
Alors qu’elle avait déjà gagné plusieurs prix litté­raires autour du monde, la chan­teuse Beyoncé a eu un réel coup de cœur pour les poèmes de Warsan Shire, elle lui a donc confié une partie de l’écriture de son album Lemo­nade. […]
La chan­teuse veut s’imposer aujourd’hui comme une icône de la voix fémi­niste. Ses concerts, ses textes et ses clips le prouvent : la diva exploite l’image d’une femme puis­sante, fière des origines et de son corps, une image qui fait écho aux femmes des poèmes de Warsan Shire. […]
À la diffé­rence de l’icône, le fémi­nisme de la poétesse n’est lui ni glamour ni oppor­tu­niste, il donne simple­ment la parole à des femmes fortes et inspi­rantes qui s’affirment : la mère céli­ba­taire, la sœur mariée de force, la grand-​mère veuve de guerre… Autant de person­nages qui existent par leur corps dont l’histoire parle d’interdits, de reli­gion, de discri­mi­na­tion et de racisme. »
« Warsan Shire, la poétesse anglo-​somalienne qui a inspiré Beyoncé », Rts​.ch, 21 septembre 2017

« Quand j’ouvre le recueil, je ne m’attends à rien. Je n’ai même pas l’intention de lire, j’ouvre le livre à cause de son titre que je comprends de travers : je donne nais­sance à ma mère.
La phrase en exergue est trou­blante de candeur “J’ai la bouche de ma mère et les yeux de mon père ; / sur mon visage ils sont toujours ensemble” Le premier poème, court, de trois vers, est frais et caus­tique. Ensuite on plonge dans tout autre chose : de sensuel, de violent, de sanguin, – mais de féminin.
C’est bien un autre monde qui nous parle en ces mots, d’autres cultures, d’autres langues, et toujours multiples, métis­sées, complexes, denses et odorantes. On ne sait pas où l’on est, cela fait appel au fond de soi. Bien sûr, on n’a pas lu la quatrième de couver­ture, qui nous aurait donné des clefs, des repères. On peut ne pas en vouloir, s’assurer après. On préfère entrer direc­te­ment dans le vif du sujet, comme Warsan Shire, poétesse soma­lie et britan­nique, née en 1988, vivant à Londres, nous invite à la faire, avec une hospi­ta­lité étouf­fante, exubérante.
J’ai en tête des femmes aux robes merveilleuses, drapées, aux bijoux argen­tés, des odeurs de maïs grillé, de cannelle, de parfums suaves, des dattes sucrées. En lisant des mots, on voit, on entend, on sent, on côtoie des personnes, leurs corps malme­nés ou aimés, frottent et froissent joie et douleur ensemble. […]
Certes la vie est prosaïque, la chair n’est jamais lasse, ces vers bien char­pen­tés nous emportent et nous offrent leur vita­lité. Ils nous regardent droit dans les yeux, sans faillir, et il est diffi­cile de ne pas rougir, quand les mots fouettent le sang et stimulent la pensée. […]
On perçoit dans l’accent des mots un regard de femme sur le monde des hommes et des femmes, ce qui ne veut pas dire que les femmes sont d’une seule voix, mais qu’il y a quelque chose à décryp­ter dans cette langue là aussi, à côté de laquelle on pour­rait passer sans voir. […]
Saluons la traduc­tion de Sika Fakambi qui sait si bien donner du rythme à sa langue, si bien la chahu­ter, elle nous approche si bien du texte origi­nal que l’on ne ressent pas le besoin de le lire. »
Camille Loivier, Poezi­bao, 13 octobre 2017

« Warsan Shire est née en 1988 au Kenya de parents soma­liens et a grandi en Grande-​Bretagne. Son livre est d’une violence rare par l’éloquence qu’il engage en un mixage d’Afrique noire et de monde blanc. Il devient un témoi­gnage radi­cal. La poésie qui ne se contente pas de photo­gra­phier ou de décrire. Tout passe par le chant. Il déclive les façons de penser Sous le monde voilé, les mots qui le fendent prennent des doubles sens. Et lorsque l’auteur écrit : “À ma fille je dirai / Quand vien­dront les hommes, tu t’incendieras”, l’expression est volon­tai­re­ment équi­voque. D’un côté la sensua­lité, de l’autre la mise en garde.
Nour­ris par les mots de la mère qui parla à sa fille, celle-​ci répond ici en une sorte d’hommage pour témoi­gner de mondes pour­ris offerts par frag­ments à vif. Les femmes sont magni­fiques en de superbes atours mais leurs corps certes aimés sont souvent malme­nés quelles que soient les cultures. […] L’hospitalité des femmes est toujours grande. Elles frottent et froissent joie et douleur ensemble, la vie fami­liale est violente. Les coups pleuvent
L’auteure reste pleine de vie et de sang. Les femmes sont des bateaux ivres, ouvertes aux addicts du tout-​venant puis lais­sées pour compte dès que leur date de consom­ma­tion se périme. De plus, la guerre n’est jamais loi avec son lot d’exil. Tout est brassé en des invo­ca­tions lyriques. Et si l’Afrique est vue sans fard, notre monde hypo­crite est dégagé de sa myopie confor­table. […] Warsan Shire écrit pour lutter contre l’apathie non pour récla­mer la pitié. Elle appelle à la révolte et la luci­dité. Car si la gueule des loups change de couleur, leur préda­tion demeure constante. Si bien que “l’exilée de sa peau” — dont le visage de nostal­gie souligne le feu qui l’anime entre celui des canons et celui de l’homme entre ses jambes — rappelle que “Les chambres dans cet hôtel sont torrides. / La nuit dernière au lit je t’assure /​mon corps était en feu”. Mais elle suggère, comme sa mère le fit, que la brûlure n’est pas toujours ce qu’on en attend ou en dit. »
Jean-​Paul Gavard-​Perret, « Sans conces­sions », Lelittéraire.com, 17 octobre 2017

« On aurait envie de porter avec soi toujours des formules qui touchent à la vérité humaine la plus intime, du style de celle qui ouvre le recueil : “J’ai la bouche de ma mère et les yeux de mon père ; sur mon visage ils sont toujours ensemble.” […]
Vers et poèmes à chute, diamant brut du déses­poir ou de la vie qui dévore les indi­vi­dua­li­tés bous­cu­lées par la guerre, la poli­tique, la famille, la reli­gion, la misère, l’exil, il faut vrai­ment lire Warsan Shire. »
Ismaël Dupont, Le Chif­fon rouge, 24 octobre 2017

« Nulle complai­sance cepen­dant dans Où j’apprends à ma mère à donner nais­sance. Les textes de ce recueil, écrits dans une langue précise mais sans séche­resse, vont droit au but, portés par un sens du détail effi­cace, rassem­blant tout un récit parfois complexe en un objet, une image, une partie du corps. Warsan Shire plante des flèches, qui restent profon­dé­ment fichées dans la mémoire du lecteur. Cette très jeune femme a accu­mulé les prix de poésie en Grande-​Bretagne, notam­ment le très envié titre de Young Poet laureate for London. Si le natu­ra­lisme de ces textes est assumé, la maîtrise formelle, même en traduc­tion, est totale. L’auteure emploie les formes les plus clas­siques, en parti­cu­lier les distiques, tercets, quatrains et autres strophes régu­lières avec une virtuo­sité impres­sion­nante sans rien sacri­fier de l’émotion. On ne peut qu’espérer que l’effort de traduc­tion se pour­suivre, il serait dommage que cette voix ne soit pas plus entendue. »
Alain Nico­las, « Warsan Shire hors de la “gueule du requin” », L’Humanité, 27 juin 2018

« Islam incarné dans les chairs de femmes, sublimes ; lexique somali vivace dans la traduc­tion fran­çaise, prise fertile de langue dans le corps du texte ; amour, sensua­lité, sexe cru, cuis­son des mets, fragrance des aromates et des huiles oignant la langue et la peau fémi­nine sur plusieurs géné­ra­tions ; comment des voix déli­cates fortis­simo réveillent, révèlent chaque part d’âme, chaque parti­cule de corps ; comment les hommes vieux, les jeunes hommes, les femmes anciennes, les femmes jeunes, les filles existent en sortant de la bouche de Warsan Shire – vivants récits s’incarnent à la violence, la fragi­lité, la force, la perte, la guerre, la famille, la reli­gion, la migra­tion et l’exil ; comment ces femmes dans le texte sont des bous­soles d’os, de sang, de paroles affo­lées et de cœurs ignés ; catas­trophe, dénue­ment, déra­ci­ne­ment, promesse… celle de la résur­rec­tion d’un peuple qui naquit d’une mère et renaît d’une fille ?… par le pouvoir de ses mots de chair, chair de langue dans bouche ouverte sous l’œil fou, rendu extra­lu­cide, vision puis­sante de vie malgré les morts atroces. »
Jean Palomba, Terre à ciel, octobre 2018

« La trace et la marque de l’origine, la trace et la marque des routes traver­sées, la trace et la marque de la terre où l’on tente de s’établir, où l’on s’essaie à naître de nouveau : toutes ces traces, toutes ces marques sont présentes dans la chair, sur les lèvres et dans la langue de Warsan Shire. […]
C’est donc la voix de l’Afrique comme femme, la voix de la femme afri­caine, ne sachant qu’espérer mais non déses­pé­rée, terras­sée mais non anni­hi­lée, que fait entendre Warsan Shire et cette voix crie du sol, de la terre et de sa poésie jusqu’à nous. Cette voix nous inter­pelle, telle la voix d’Abel dont le sol a gardé mémoire après qu’il fut tué par son frère Caïn. […]
Tout cela, Warsan Shire le livre dans une poésie brute et crue parfois mais douce et sensuelle aussi, qui sait dire la violence des hommes (au sens géné­rique mais aussi sexué du terme) et aussi bien chan­ter l’amour conjugal. […]
Poésie profon­dé­ment char­nelle tant elle est en quête, comme le dévoile le titre du recueil, d’un nouvel enfan­te­ment, d’une déli­vrance : il semble que Warsan Shire veuille à la fois assu­mer le sort et la langue de ses ancêtres, en premier lieu de sa mère, et les porter, les enfan­ter, les faire renaître sur une nouvelle terre, dans une nouvelle langue, terre et langue dans lesquelles l’on pour­rait être, dans une harmo­nieuse et féconde union, chaste et sensuelle, pure et sauvage, soma­lie et britan­nique, afri­caine et euro­péenne, musul­mane et libre. […]
Mourir à une vie et une langue inou­bliables, que l’on conti­nuera de porter, afin de vivre dans le souffle d’un verbe nouveau, c’est peut-​être ce que Warsan Shire appelle donner nais­sance et qu’elle veut ensei­gner à sa mère, à son peuple, à tous les exilés. Ne lit-​on pas que le prophète qui séjourna dans un autre ventre, celui de la baleine, en sortit investi d’un nouveau langage et d’une nouvelle mission ? »
Frédé­ric Dieu, Profes­sion Spec­tacle, 27 décembre 2018

« “J’ai la bouche de ma mère et les yeux de mon père ; sur mon visage ils sont toujours ensemble.” Ainsi s’ouvre le recueil de Warsan Shire, sur la tona­lité char­nelle de ces poèmes nour­ris des récits d’une mère à sa fille. Ils nous racontent des histoires de femmes qui existent par leur corps (émois amou­reux, ébats, abus sexuels, coups…) et font entendre la voix d’une femme afri­caine sensuelle, débor­dante de désir, mais aussi domi­née par la violence des hommes. Car très vite, la candeur initiale est supplan­tée par la bruta­lité : “Le premier garçon qui a embrassé ta mère a plus tard violé des femmes au moment où la guerre a éclaté.” Cette alliance entre sensua­lité et violence, qui fait la force de l’écriture, culmine dans l’histoire de cette femme trom­pée, s’immolant sur le corps de son mari lors d’une dernière étreinte ; et elle ressur­git jusqu’à l’ultime poème, “En amour et en guerre”, par la formule équi­voque : “À ma fille je dirai, / ‘quand vien­dront les hommes tu t’incendieras’.” La guerre est d’ailleurs omni­pré­sente, et la femme violen­tée devient l’incarnation des violences faites aux migrants : “Je veux faire l’amour, mais j’ai les cheveux qui puent la guerre[…]. Je veux m’allonger mais tous ces pays sont comme ces oncles qui te touchent quand tu es enfant et endormi.” Écar­telé par les hommes, à la dérive entre deux conti­nents, le corps devient porte-​parole des exilés : “Ta fille a pour visage une petite émeute, / ses mains sont une guerre civile, / un camp de réfu­giés derrière chaque oreille, / un corps jonché de choses laides,”. On a alors envie de s’exclamer avec cette voix fémi­nine : “vois-​tu comme elle porte bien le monde” ! »
Isabelle Guillo­teau, Disso­nances, n° 39, hiver 2020