Description
C’est le corps-à-corps obstiné avec les mots et les images de Fernand Deligny (1913−1996), éducateur hors du commun, cinéaste, écrivain et poète, qui est au cœur de cette biographie romancée. Deligny s’est acharné à « creuser dans la langue » pour y « chercher l’interstice », à ramasser les « petits copeaux de langage » qui tombent parfois du silence des autistes ou autres adolescents jugés incurables par les institutions — plutôt que leur apprendre à parler, apprendre à se taire soi-même, les écouter, les regarder. Et les dessins, les feuilles volantes, les images filmées, les gestes, les silences, beaucoup de silences, et puis les fameuses « lignes d’erre » qui retracent le trajet des enfants dans les aires de séjour qu’il a inventées pour eux dans les Cévennes. Car au-delà, il est aussi et avant tout question d’interroger « l’homme-que-nous-sommes », et de créer ainsi de nouvelles façons d’être au monde.
Sandrine Bourguignon s’empare du sujet à bras-le-corps. C’est une adresse à Deligny, une longue lettre en quatre parties, une biographie en miettes, et exhaustive. Qui épouse ses convictions au plus près, se faisant elle-même « le scribe d’un langage qui n’existe pas », et peut-être d’autant plus qu’elle s’autorise, ici, à imaginer, à intervenir quelques fois, mais sans jamais forcer les portes.
« Vous comparez l’écrivain à un alpiniste qui s’encorderait au lecteur. […] Alors je tourne les pages une à une. / Et nous voilà désormais encordés. »
Notes de lecture
« Sandrine Bourguignon, dont Le nom d’un fou s’écrit partout est le troisième livre, s’immerge en apnée dans saviesonœuvre (indissociables) d’éducateur antipsychiatre, d’éthologue du fin fond de l’humain, de poète – avec une passion, une prise au corps qui ne permet souvent pas de discerner ce qui est de son cru, ou de crudité tranchant à flanc, celle de son héros-limite. En une adresse à sa personne, sur un tempo tenu alternant paragraphes implacables et rejets en double rebond de balle déprise au bond, (“diplôme en poche, on vous octroie un poste de titulaire dans la petite classe des enfants fous au milieu du cri des mouettes. / Ainsi vous reprenez le cours de votre vie. / La seule qui sauve. Qui peut”, ou “Un non-lieu. / Je crois qu’il n’y a que ça. / Dans votre vie. La mienne”), esquivant le poème vertical – “à bout d’âme, comme on dit”. Cela en respectant scrupuleusement le passage à la ligne avec blancs d’entrée, comme pour marquer que Deligny est son héros de roman. […]
Rejoindre le mutisme des égarés en abolissant le langage, tâche de poète – que rejoint, qu’ajointe Sandrine Bourguignon de sa poésie à l’estomac. »
Christophe Stolowicki, Sitaudis, 3 novembre 2021« La biographie très documentée que Sandrine Bourguignon consacre, avec retenue et discrétion, à l’auteur de Graine de crapule, Adrien Lomme ou Les vagabonds efficaces, est empreinte d’une empathie qui s’avère très communicative. Tout au long de sa vie, Fernand Deligny aura mis en pratique ses convictions, en prenant des chemins de traverse, en se battant, en résistant, en travaillant avec les enfants dont il savait qu’ils ne pouvaient pas guérir mais auxquels il voulait offrir une vie acceptable, sans violence, loin de l’asile. »
Jacques Josse, Remue.net, 29 novembre 2021« Sandrine Bourguignon est allée consulter les documents qu’il a laissés, et notamment ses tentatives d’autobiographie, à l’IMEC (Institut Mémoires de l’édition contemporaine). Elle s’y est encordée, puisque c’est ainsi que Fernand Deligny décrivait le lien entre auteur et lecteur.
Et son écriture à elle, suivant un récit chronologique, tente d’être fidèle à sa vie à lui et à ses refus et à ses amitiés, écriture que la ponctuation rend claudicante, comme si elle avait un caillou dans la chaussure, et dont les mots insistent pour être entendus : pantois, narquois, aubier, détriment, déblais, et tant d’autres. Ainsi elle nous encorde à notre tour. »
Marc Verhaverbeke, Écrire ici aussi, 3 avril 2022« Sandrine Bourguignon lui rend hommage par un exercice d’admiration en forme de lettre biographique, une adresse à Deligny qui laisse voir ce que fut sa vie ; le lecteur n’a plus qu’à regarder pour apprendre à connaître un personnage en forme de contrepoint à ce vingtième siècle bureaucratique, technique et claustrateur. Une aventure individuelle, et non point égoïste, au service des égarés, des maltraités. […]
Modestement, les écrivains sont à leur place quand ils ajoutent leur sensibilité à des aventures vécues qui nous aident à supporter l’oppression et l’éternel gâchis de la civilisation. Écrire Le nom d’un fou s’écrit partout était nous en fournir un bel exemple. »
Jean-Claude Leroy, Poezibao, 4 avril 2022