Description
Comme l’écrit Chloé Bressan, il s’agit, avec Le chant de la femme d’argile, de rassembler « les débris des luttes ». Ces luttes sont celles que la femme mène contre elle-même, ou plutôt contre ce que les « autres » voudraient qu’elle soit. Une lutte contre, et parfois avec, tout ce qui lui a été inculqué, à travers les mythes ou des savoirs – une « gnose » – qui viennent d’« en haut » comme des « diktats », et qui sont d’autant plus imparables qu’on les situe comme une normalité – un « normal ».
Des débris donc : ce « chant », le « chemin faisant », est celui produit par la confrontation du pot de terre (d’argile) contre le pot de fer (ou plutôt de pierre) des traditions : la femme serait-elle ainsi celle qu’on dit diablesse ou sorcière ou toute autre figure mythique de la tentation (Mélusine, Vénus, ondines, « déesse mitée », « cornes bombées »…). D’ailleurs, toujours, ne la dit-on pas folle : « le boudoir mental accueille / les terminologies de filles hantant / les jeux des mythes » ?
Toute rencontre avec « les autres », « homme » ou « garçon » est, dans ces conditions, intenable, car ils sont simplement « impossible[s] à toucher », le « baiser » est « urticant », de l’ordre du « piège » posé là par des « trouvères » caressant : « ta vérité de mendiant / l’omniscient bouffon / parle pour toi… » Et lorsqu’il y a un « rire d’amoureuse », il « fait exploser » – afin « d’éviter le pire ? », demande-t-elle : « Le geste de son bras dit la muraille // dit : la Terre d’extase », désormais inaccessible.
Subsiste la femme-argile, « des lézardes le long de l’échine », qui impose le silence, « un sourire muet », « à son rêve », tout autant glaise que limon, vouée à être façonnée, fragile et vulnérable malgré les apparences. Ne devient-elle pourtant pas, cette femme-argile, « l’ouvreuse des canaux », moderne passeuse des enfers, retournant ainsi le mythe contre lui ? Car il y a comme une sourde révolte promise par les verbes d’action souvent placés à l’avant des phrases, des adjectifs qui prennent la force des noms, ou la syntaxe sans détour : « La femme d’argile porte au fond des reins / toute l’ambroisie / émergée […] Tombé de ses entrailles / le bruit en glaise », « crâne vide de l’argileux féminin ». Et on peut espérer que tout cela ne se termine pas par une défaite puisque « son chant » « emportera tout », même s’il y a déjà une « fêlure dans sa voix », que demeure seulement « un son du corps » – cette bataille passant d’abord et avant tout par les corps.
Notes de lecture
« … une femme nous livre avec une exacte diction un poème des origines où l’argile se met à chanter. On est transporté vers des rivages d’avant Socrate, vers le berceau du Croissant fertile, vers les débuts de l’écriture, au proche du mythe, transporté dans le même temps vers la tragédie antique ou vers la tradition du Japon. Avec un ensemble parfait, se mêlent deux écritures (au moins), celle des mots de haute volée, écrits, modelés, qui se dévident, se délivrent non dilués, en staccato, et celle du corps délié… »
Ève Lerner (à propos d’une lecture-performance du Chant de la femme d’argile en mai 2012), Hopala !, septembre-novembre 2012« femme essentielle qui revêt des figures nombreuses et disparates, éprouvant la présence de l’homme comme d’un danger, d’une attirance décisive, dans une ambiance élémentaire, et même mythique, païenne, celle d’un orphisme du féminin où les êtres apparaissent dans un nimbe d’éternité, archétypés. […] Tout le recueil chante à la source. »
Sébastien Hoët, CCP – Cahier critique de poésie, n° 26, décembre 2013