Description
« Ici, il y a des fous, des illettrés, des pauvres, des hors-la-loi, des princes, comme dans les westerns. Et puis il y a moi. »
En-dehors retrace une année « scolaire » à la prison de la Santé, à Paris, où Angela Lugrin vient enseigner la littérature dans le cadre du Daeu, diplôme d’accès à l’université. Arpentant « ces terres-là », elle y interroge un à un tous les a priori et découvre un « paysage intérieur » insoupçonné.
Scène après scène, on observe avec elle, au fil des pages du Cid et des Liaisons dangereuses, cette « constellation étrange, ponctuée ici et là de tentatives d’analyses de texte, de passés composés qui perdurent dans la situation d’énonciation, […] d’images qui prennent possession des espaces vides », et sa confrontation avec la « nuit carcérale », la « cuisine des taulards » ou le juge d’application des peines.
On rencontre dans la salle de classe aux fenêtres grillagées des « frères humains » : Emmanuel, le Juste, Monsieur P., le séducteur, ou Oscar, mélancolique et comme « désarticulé ». Leur « beauté folle », leur fragilité, leur fierté ; la gaieté et le désespoir entremêlés…
Parce qu’il n’y a pas de « règlement intérieur de la littérature », la parole peut devenir un « pluriel en acte », un lieu d’accueil improbable et bienveillant. Analyser un texte, en prison, « c’est, un temps, se débarrasser du corps, du présent, et de tout le fourbi et néanmoins arpenter la garrigue, comme un fou ». Et peut-être « réunir les morceaux de soi-même », rejoindre le « je veux vivre à l’infini » du fou pris dans la camisole.
Notes de lecture
À écouter :
• Sur France culture, « Les bonnes feuilles », 14 décembre 2015 : Angela Lugrin lit les premières pages de En-dehors.
• Et, dans « Le temps des libraires », Rémi Grandidier de la librairie La Fabrique, à Bar-le-Duc, le 23 septembre 2015, présente En-dehors comme un de ses coups de cœur.Un autre coup de cœur libraire pour En-dehors :
• La librairie Interlignes à Limours (91).
« Angela Lugrin dans En-dehors relate, de façon très précise et très prenante, son expérience de professeur de français à la prison de la Santé. C’est un beau livre qui permet de mieux appréhender cet univers complexe et de suivre plusieurs jeunes hommes, aux profils très différents et la façon dont ils reçoivent ce cours, dans le cadre de leur préparation au bac (que plusieurs vont décrocher, certains avec mention). Contrastes étonnants entre la personnalité de ces garçons, l’ambiance du cours et le programme, Le Cid et Les Liaisons dangereuses. L’écriture d’Angela Lugrin est forte, jamais complaisante, très vivante. »
Florence Trocmé, Poezibao, Le flotoir, 24 juillet 2015« … c’est beau. C’est bon à savourer toute cette humanité, cette puissance à découvrir en chaque homme cette fragilité qui les (nous) fait vivre davantage. C’est bon comme un jour qui vient se cogner aux vitres d’une fenêtre grillagée et qui offre ses premières lumières, celles qui sont sources de chaleurs, de peurs, d’une confiance en soi, en l’autre. C’est bon comme quelqu’un qui accepte de déposer au creux d’un texte, d’un mot toute sa douleur, qui compose avec les vers comme on compose avec la vie et qui en tire une force, une humanité, une beauté. C’est un hymne à la liberté par la lecture, l’écriture, la puissance à déchiffrer des vers, des textes qui sont issus d’une littérature classique.
Il n’y a aucune compassion, nul instinct à rendre ces hommes plus beaux que la laideur de ce qu’ils ont commis. Mais la force de chacun à construire un ensemble est présente. Et c’est une vraie bouffée d’oxygène à l’insoumission des carcans qu’ils soient littéraires ou carcéraux. Une vraie bouffée de vie… »
Le blog du petit carré jaune, 11 août 2015« C’est un récit posé et captivant que propose Angela Lugrin. »
Jacques Josse, Remue.net, 31 août 2015« Ni fauteuil ni divan, et pourtant les traces de son enfance et de son milieu familial ; l’auteure, en une succession de chapitres courts et ciselés, sortes de flashes, d’“insights”, qui ne racontent pas de manière suivie ce qu’il faut bien appeler son voyage chez les “taulards”, donne à entendre, en une chaîne d’associations, ce conditionnel passé – “j’aurais pu”, “j’aurais dû” – qui la met à l’épreuve. Le conditionnel passé, modalité du temps carcéral, univers de trajectoires inabouties.
[…] L’une des dimensions les plus fascinantes de ce petit livre tient dans l’alternance, la juxtaposition d’éléments disparates : échanges très sérieux à propos du Cid ou des Liaisons dangereuses ; recherche et découverte, à chaque fois renouvelées, de la position juste pouvant amener les élèves à penser le plus “librement” possible ; risque omniprésent de dérapage, de la gaudriole vers la violence ou, pire, le rejet ou le découragement. Mosaïque de bons mots, de réparties, de trouvailles, chez ces exclus pour qui ce dialogue, différent pour chacun, peut être l’occasion de faire resurgir ce que bâillonne la prison : rien de moins que le sujet et l’expression de ses affects.
Il faut se déplacer, aller vers cet écrit, pour rencontrer Oscar, Marcellin, Emmanuel, Monsieur P. et les autres, élèves assidus ou dissipés, étonnés de se voir demander leur nom quand ils s’attendent à devoir donner leur numéro d’écrou, mais capables d’observations, de répliques porteuses d’un incomparable respect pour “Madame”, la “prof”, capables d’une lucidité à même de faire taire toute marque de compassion ou de sensiblerie : la sentant insatisfaite d’elle-même parce qu’encline à se laisser aller à rire avec eux là où elle devrait imposer le sérieux, Oscar brise ce qu’il ressent comme un trop-plein d’exigence : “Mais Madame, vous devez vous mettre dans la tête, une bonne fois pour toutes, que vous ne pouvez rien pour nous. Vous allez voir, ça sera plus léger.”
[…] La lecture achevée, une parole vient, toute simple mais empreinte de respect : merci Madame ! »
Michel Plon, « Le conditionnel passé », La Nouvelle Quinzaine littéraire, n° 1135, 15 – 30 septembre 2015« … restitution d’une expérience pédagogique qui se meut en aventure humaine. […] Le Cid de Corneille, Les Liaisons dangereuses de Laclos – les œuvres imposées du programme – seront autant des viatiques qu’un moyen détourné pour parler de soi et faire place à l’autre. “Devenir lecteur c’est, un temps, se débarrasser du corps, du présent et de tout le fourbi, et néanmoins arpenter la garrigue, comme un fou.” Néanmoins […] comment prôner l’émancipation par la littérature dans le même temps où l’institution scolaire en impose les règles ? La prison comme l’hôpital (son père était psychiatre) comme l’école n’ont-ils pas vocation à faire de l’homme “un animal prévisible” (Foucault) ? […]
En permanence, la centaine de petits blocs de prose est travaillée par un mouvement pendulaire entre dedans et dehors. L’intérieur de la prison aujourd’hui, sa sauvagerie, sa déliquescence, le magnétisme de ses “taulards” dont “la beauté est comme celle des fous, elle vous prend à la gorge, vous saute à la gueule”, et l’extérieur de la prison, les doutes, les fatigues, les réminiscences de la narratrice, sa difficulté à “se réhabituer au soleil” y dessinent les contours et la substance d’une traversée humble et lumineuse. »
Christine Plantec, Le Matricule des anges, octobre 2015« Dans En-dehors, le lieu “prison” est ambigu ; pour ceux qui y sont enfermés, ce n’est pas un lieu “où la langue interroge sans fin l’aurore et les ruines” – la littérature – mais où seule la question de la libération a un sens. Angela Lugrin, elle, revient régulièrement à cette idée qu’elle abandonne à la porte de la prison “la précipitation de la vie”, et qu’elle entre chaque fois “dans un espace à l’abri, une terre de l’enfance, un lac noir de chagrins d’adultes”. On comprend alors qu’elle écrive, quand elle en sort : “la porte qui s’ouvre sur la rue de la Santé, sur Paris […], on ne peut pas dire que ce soit un retour à la réalité. Ce serait plutôt le retour à nos enfermements respectifs.” L’enfance qu’elle évoque, c’est d’abord la sienne, quand elle rencontrait les malades que soignait son père dans un hôpital psychiatrique, quand elle se souvient aussi d’un “vieux rêve, un rêve de l’enfance, un rêve de prison”, quand elle s’imagine à l’écart de toute institution, un peu “brigand”. […]
Si l’on ne retenait que ces passages du livre, on parlerait de fascination pour le monde carcéral. Les choses ne sont pas si simples. Angela Lugrin n’ignore pas du tout la violence qui règne dans la prison, pas plus que celle qui y a conduit ses étudiants ; elle observe aussi que l’enfermement marque les corps jusque dans la démarche et elle a en tête cette remarque d’un détenu, “Vous ne pouvez rien pour nous”. Plus encore, elle a vite compris qu’il lui fallait être “en-dehors”, refuser toute ambiguïté dans sa relation avec les uns et les autres, pas au nom d’on ne sait quel principe mais pour conserver le regard particulier qu’elle porte sur les détenus, et il faut bien entendre ce qu’elle définit comme “distance” ; “La distance comme une pudeur, une prudence face au réel de la douleur. Si la distance est trahie, la beauté disparaît, l’impensable peut surgir.” »
Tristan Hordé, Libr-critique, 12 novembre 2015« Entre relation d’une expérience intime et sociale, la prison tantôt comme “paysage intérieur” ou “être lieu indéfini et réel”, Angela Lugrin, dans une forme carnet de bord, témoigne de son année scolaire d’enseignement littéraire à la prison de la Santé à Paris et aborde le sujet avec beaucoup de liberté : “Ils disent ‘les insomnies du dedans’ : j’ose ‘les insomnies du dehors’.” L’auteur y parle autant de la beauté des prisonniers qui “saute à la gueule”, de leur humour, “une drôle de lumière”, que du désespoir. Elle ose le “je”, l’expression de ses propres sentiments d’enfermement et nous livre en cela un témoignage où l’empathie règne au centre de l’écriture.
En-dedans est une lutte mais en-dehors aussi, là où il faut se battre également pour faire comprendre à son frère (et à tous les lecteurs potentiels) le sens de son engagement, quand derrière les murs, en étudiant ensemble, “une musique infime et essentielle” se joue malgré tout. »
Sacha Steurer, CCP – Cahier critique de poésie # 31 – 2, 2 décembre 2015