Description
Else avec elle rassemble trois « récits », ou « petites formes poétiques », Prairie jaune tanaisie, Quand elle et Jade jardin, la jachère. Si la poésie de Lou Raoul est imprégnée de la culture bretonne, c’est sans folklorisme aucun qu’elle porte au présent cet héritage, dont la langue n’est pas la moindre des caractéristiques. Le breton se distingue notamment par une syntaxe très particulière, qui vient parasiter naturellement sa langue à elle, déplaçant, bousculant légèrement l’ordre attendu des mots, jouant par moments aussi des sonorités du breton lui-même, sans jamais altérer le cours de la phrase (au contraire, participant de sa musique).
Mais plus largement, et sans jamais revendiquer un quelconque régionalisme, Lou Raoul inscrit dans l’aujourd’hui ce terreau fort, cet imaginaire, cette vision poétique du monde où, témoignant encore d’un lien privilégié de l’homme avec les éléments et la nature, vivants et morts se côtoient, passé et présent s’entremêlent : « Juste que tournent les robinets d’eau vive qui éclabousse et mousse avec le passé le présent tout mélangés. »
Un personnage récurrent, Else, donne une certaine unité aux différents opuscules que tisse Lou Raoul, et si l’auteur y met sans doute un peu d’elle-même, elle sait garder vis-à-vis du texte une distance salutaire. « Ici maintenant où tu passes et près de tout le reste un peu de temps, tu te croises, Else, / dans les yeux des absents », « et si c’est dans cette langue que je me remets à parler je te demande pelec’h out où es-tu ». Lou Raoul convoque d’ailleurs La Jetée de Chris Marker à la fin de son récit Quand elle : « Rien ne distingue les souvenirs des autres moments : ce n’est que plus tard qu’ils se font reconnaître, à leurs cicatrices. »
Il est beaucoup de cicatrices dans les mots de Lou Raoul, beaucoup d’êtres chers « en-allés » qu’elle fait revivre « à ces moments-là / de mi-saison », comme cette femme assise « Qui attend ou qui attend rien […]. Une femme vivante [qui] s’aperçoit qu’elle ressemble à la morte, […] maintenant elle voit dans ses yeux à elle les yeux vivants de la femme morte quand elle est vivante, quand elle avec elle ».
Notes de lecture
« La façon d’écrire de Lou Raoul, tour à tour allusive, elliptique, précise et tranchante, lui permet de traverser, outre les frontières, ce miroir si prompt à lui renvoyer un double qui ne demande qu’à vivre pleinement. Cette écriture est portée par une langue qui sait ce qu’elle doit à l’oralité. »
Jacques Josse, Remue.net, 22 juillet 2012
« Ne pas se retourner certes, mais ne pas oublier pour autant et chanter ceux qui ne sont plus. Car c’est bien dans la langue qu’est l’enjeu de la remémoration. L’ouvrage remémore (remet mort dirait le psychanalyste) par le chant le retour au monde du ou des disparu(e)s. »
Christian Vogels, N4728, janvier 2013« Lou Raoul, allusive – alors “le passé le présent tout mélangés” – ou précise, ne laisse pas le français en repos, non pour transcrire l’oral mais refusant quand nécessaire la syntaxe scolaire pour dire “la bouche en rires la bouche en ruines”. »
Tristan Hordé, CCP – Cahier critique de poésie, n° 26, décembre 2013