Noise

Auteur
Stéphane Korvin
88 pages, 12 x 15 cm
Parution : novembre 2015

Publié avec le soutien de la région Bretagne et du Centre national du livre

Voir les premières pages

 15,00

ISBN  978-2-917751-62-6 Catégorie 

Description

Il n’est sans doute pas inutile de rappe­ler les deux sens du mot noise et la sono­rité de chacun d’eux : [nwaz], en fran­çais, qui a signi­fié bruit ou tapage, avant de deve­nir syno­nyme de querelle, dispute pour un motif géné­ra­le­ment futile (cher­cher noise) – qui vient étran­ge­ment du latin nausea, dégoût –, et [nciz], en anglais, qui veut dire bruit, ou son.
C’est faire entendre, ou plutôt voir, le mouve­ment, le glis­se­ment des corps derrière le son : « le brou­haha / que l’on traîne derrière soi // un bruit de noises », puis le « lent silence ». Car Noise est comme le film d’une lutte, inscrite dans « l’épuisante matière, la fabrique aimer » : « j’apprends à filmer, c’est un récit tout ce qui brûle dehors », « c’est une aubaine ces registres de soli­tude, ils jouent une infi­nité de terrains ». Avec, « au centre de l’histoire : le corps et ses roule­ments ». Un film qui essaie­rait de « nommer un passage, le poids d’un corps, ce que préci­sé­ment il ne pèse pas ». Un film au temps trem­blé, froissé, où les corps, et notam­ment ce corps-​là de l’aimée, « ma décou­pée », sont dessi­nés par morceaux : torse, jambes, lèvres, mains, sexe (« large paume », « membre sourd »). Avec une grande impor­tance accor­dée aux yeux, « ces petites pensées qui filment », comme si leurs cligne­ments dictaient le montage des plans : « ne me décolle pas des yeux / nous nous baigne­rons dedans / tel un nid d’oubli » puis « d’ici je ne vois rien, c’est une soli­tude intense cette phrase muette ». Parce que les yeux finissent par se fermer, que ce soit ceux de l’aimée dont les paupières deviennent « sourdes » (« “il faut me soigner les yeux”, fauche-​t-​elle »), ou ceux qui la regar­daient (« j’éteins ton image »). Étei­gnant par là-​même la lumière qui baigne ces plans / ces pages marquées au fili­grane d’une rêve­rie (« fol, il est l’heure tendresse ») qui emprunte « le chemin dit de traverse / ses fleurs sinueuses, ses colis et ses lueurs / la nuée qui grésille », d’une « tenta­tive déme­su­rée / de débrouiller le corps ».
Désor­mais « il faut que tout tienne dans la mémoire, la pluie qui pivote, le tombant de son visage » et « vivre avec la lumière a désor­mais un rapport avec ce silence ».

Notes de lecture

« … Les deux livres [de Stéphane Korvin, Noise et Bas de casse] publiés en 2015 ont quelques points communs, qu’il s’agisse de la présence forte du corps fémi­nin ou des thèmes de l’oubli, du rêve, de l’invention de la vie, mais aussi du trai­te­ment de la syntaxe ou du carac­tère un peu énig­ma­tique de leur titre.
[…] Il ne s’agit pas de reprendre les procé­dés de quelques surréa­listes, mais plutôt de resti­tuer la vision d’un monde éclaté, dans le chaos, où les éléments se chevauchent, perdent la place qui semblait fixée, ce que laissent entendre des passages du texte, ainsi : “je passe pour écrire kaléi­do­scope” – alors, “les mots sont sans rapport”. Cela ne signi­fie pas que Korvin privi­lé­gie cette forme ; le discours s’organise avec l’introduction du je et du tu et avec la rela­tion amou­reuse au corps : “mes doigts qui sentent ton sexe, je ne veux pas les laver”.
Le monde est bien là mais il “est un subtil loin­tain, l’outil d’une absence”. Il s’impose avec prin­temps et hiver, forêt, rivière, fleurs (cytise, pulmo­naire, iris, achil­lée), ici un poème est entiè­re­ment formé de noms d’oiseaux, là appa­raissent les “oiseaux du soir”. Dans ce monde, si “des hommes sont venus”, ils semblent appar­te­nir au passé : ce qui occupe l’espace et le temps, c’est avant tout le corps fémi­nin, lié d’ailleurs de diffé­rentes manières à la nature, par son odeur de musc, par une rela­tion parti­cu­lière à l’eau comme si elle deve­nait ondine, se trans­for­mant en pluie ou inven­tant “un nouveau cours d’eau”.
Le motif de l’invention domine le lien amou­reux ; il y a inven­tion d’une bouche, inven­tion d’une jour­née, et même de partir, comme si la présence ne pouvait se vivre qu’avec l’absence […]. L’amour se construi­rait avec l’effacement des mots et leur répé­ti­tion, “les mêmes mots répé­tés / pour tour­ner la peur” ; la reprise trans­for­mée d’éléments donne d’ailleurs une force parti­cu­lière au lyrisme, comme dans cette suite rete­nue parmi d’autres : “elle écarte ses jambes sèches / je sèche mes jambes dans l’écart de ses jambes molles”. La vie exige­rait à la fois l’indistinction du je et du tu — “ma voix dans la tienne” – et la distance, elle “introu­vable toujours”, sinon dans le rêve. »
Tris­tan Hordé, Sitau​dis​.fr, 10 février 2016, à propos de Noise et de Bas de casse (Æncrages & co)

« “je descends l’histoire où tu vas” (BC)1 : à propos de Bas de casse et Noise de Stéphane Korvin
Une émotion fragile et aiguë traverse les vers de Stéphane Korvin. Ainsi, dans Bas de casse : “aux plus belles heures je t’écris / tu reten­tis en moi // tel paysage endo­lori / roule sous mes ongles” (BC). Par le paysage, la sensa­tion de beauté s’étend à la douleur ; le son écla­tant, en soi, de celle qui “refus[e] de répondre” inten­si­fie la sensa­tion de perte. Cette poésie est une écri­ture desti­née à l’autre, sans illu­sion, et une descrip­tion de l’autre, au cœur de la soli­tude : “si je pouvais t’écrire : telle soli­tude” (p. 57, N).
L’adresse incer­taine résonne encore dans Noise : “en pente douce je m’entends-tu ?” (p. 40, N). L’étrange ques­tion laisse en suspens la desti­na­tion de la parole : à la fois toi et moi. La soli­tude s’entend, en plein paysage, dans un mouve­ment de calme et d’inéluctable en-aller.
Les deux recueils racontent ainsi l’histoire de la distance entre je et tu. Celle-​ci peut être immense et situer le corps de l’un “à une forêt du corps de l’autre” (BC). Et pour­tant, parfois, cette distance s’atténue et permet de donner “les nouvelles du près / l’assaut de ton corps” (BC). La proxi­mité, les vues courtes et sensuelles sur les détails de ce corps fémi­nin prennent forme dans un rapport tendre et parfois violent : “j’étais allongé avec toi, veillant sur ta parole, tenant tes yeux dans mes doigts, effi­lant ta nuque à revers / je pensais à : ‘griè­ve­ment s’aimer’” (BC).
Tu, origine de la parole : “tu étais un alpha­bet, le bâti du silence” (p. 17, N). Ou encore, dans Bas de casse : “mais ta langue / répé­tant l’amorce” (BC). L’écriture poétique conti­nue­rait le chant de celle qui “chant[e] merveilleu­se­ment / l’empreinte des peu” (BC) et inven­te­rait la possi­bi­lité d’un dialogue avec elle (“tes ques­tions / je les peins du bout des lèvres // puis en secret je les couds dans tes poches / pour que tu puisses les faire adve­nir / avec tes courses et tes chutes”, BC).
Ce lien est fragile. À l’image du monde, tu est “un subtil loin­tain” (BC). Aussi, dans Bas de casse, “l’image” devient “endom­ma­gée” “tant la distance couvre”. Le pronom elle, dans les deux recueils, prend d’ailleurs un temps la place de tu, comme une “statuette” qui lui ressemble, celle de la femme. Mais cette “statuette” “ne réplique pas” (p. 55, N), tout comme la femme qui incarne le pronom tu. De cette absence de réponse et de repré­sen­ta­tion apai­sante, les mots s’adressent, dans Noise, au son indis­tinct de la voix : “cher marmon­ne­ment” (p. 67, N). À suivre ce corps, le poème devient “biogra­phie d’un isole­ment” (p. 59, N).
Quel sens donner à cette rela­tion ? Je – le poète “investi[t] certains passages”, les “chutes” d’une histoire dont on sait peu. Il concentre sur la “peau” de l’autre des “souve­nirs” et des “inven­tions”, des “deuils” et des “contes” (p. 83, N). Ce tu serait l’image d’un désir endeuillé, un condi­tion­nel (“tu dispa­raî­trais”, p. 83, N) qui dure le temps de l’adresse dans son éner­gie fragile. Un parcours, à distance ou à proxi­mité de l’autre, a lieu, mais on perd sa trace : “nous parcou­rons un chemin / où raci­ner n’a pas prise” (BC). »
1. Les lettres BC dési­gnent le recueil Bas de casse ; la lettre N, le recueil Noise.
Antoine Bertot, Poezi­bao, 22 avril 2016