Description
Ce livre réunit pour la première fois toutes les « proférations » écrites à ce jour par Jacques Roman. Sous le terme de « proférations », l’auteur désigne des textes destinés à la lecture à haute voix, lectures qu’il profère « en faucheur » : « Mon corps en apparence immobile est en marche et, tenue à bout de bras, une faux invisible. Je fauche la ligne de caractères. Je vais à la ligne comme le faucheur se retourne, se retournait, au bout du champ. » Il faut voir Jacques Roman « proférer » sur scène, tout le corps contenu dans une colère vibrante, battant le sol du pied à mesure que se déverse sur le spectateur le flot de mots dit d’un souffle — certains ont eu cette chance au festival MidiMinuitPoésie de Nantes en 2013.
Mais ces « partitions à poumonner » habitées de colère, d’une force de vie farouche, et tout aussi bien d’un humour caustique, ravageur — parce que « la fameuse irritabilité poétique n’a pas de rapport avec le tempérament […] mais avec une clairvoyance plus qu’ordinaire relative au faux et à l’injuste », pour reprendre les mots d’Edgar Poe à la suite de l’auteur — ces proférations sont avant tout des poèmes en prose, blocs d’énergie, qu’il nous paraissait important de relier par-delà les dates d’écriture, et de ce fait montrer à quel point ils ont un statut très particulier dans l’œuvre de Jacques Roman, qui y revient depuis environ vingt-cinq ans.
Ainsi sont rassemblés ici treize textes, certains déjà publiés dans les années 1990 mais pour la plupart inédits, certains tout juste écrits. De la colère, donc, quant à l’état du monde, la condition humaine : devant toute forme d’injustice (l’étranger, l’enfant maltraité, le fou ou tout simplement l’écarté, l’« échoué » de la société), devant toute forme d’instrumentation de la pensée. Où la phrase est rythme et reprise, souffle : la plupart du temps sans ponctuation aucune, « bribes, se déroulant, roulant les unes sur les autres, se frottant, empiétant, cognant, oscillant, piétinant, faisant marche arrière ou avant, se télescopant, s’enracinant, déplaçant, détonant… ».
Notes de lecture
« Le poète se redresse et parle, il renouvelle ce geste de résistance et de vie. Au début fut fait homme, un “soc”, conquérant, un soc d’os, arme tranchante. La parole (poétique) : de cet ordre. […]
Place à la parole ancestrale, phylogénique et nue-ponctuée, proférée, redite si son élan le requiert. Elle sera : prophétie nourrie d’origine, claire et sonnante. Le poète écrit à haute voix, parfois à voix-cri. Le mot “voix” autour du feu danse, ou sur la phrase se jette, juxtaposé. […]
Ni ne se calme ni ne se modère, Jacques Roman. »
Isabelle Lévesque, Terre de femmes, février 2016« Avec ses mots portés par la colère, la poésie de Jacques Roman (né en 1948) semble échapper au répertoire habituel. Et pourtant… D’abord destinés à la scène, ses coups de gueule attisent le souffle noir d’une voix au lyrisme étranglé. »
Didier Cahen, « Trans/poésie », Le Monde des livres, 18 mars 2016« On peut voir dans son dernier livre, Proférations, l’aboutissement de son œuvre. Écrits sur 25 ans, ces textes percutants sont réunis dans un recueil par les éditions isabelle sauvage. Il faut voir et entendre le poète les lire. Le corps se met en mouvement comme s’il avançait. Une jambe bat la mesure, on dirait une bielle propulsant une locomotive à vapeur. La voix est grave, les “r” roulent et écorchent, le texte file à vive allure, sans ponctuation. Le poète, sans pitié, tranche et découpe le silence. C’est si dense que cela vous laisse coi. […]
Contre quoi se rebelle votre poésie ?
Contre une étrange fiction, à laquelle on essaie de nous faire croire. Je pense à cette façon que l’on a de nous raconter la vie, de nous asséner ce que doit être un homme, ce que doit être une femme, le couple ou la sexualité… Cette tendance à tout expliquer en allant piocher dans le catalogue des idées reçues. Dans les Proférations, j’enlève toutes ces idées reçues. Je le fais par l’écriture, en accouplant des termes qui, en principe, ne sont pas accouplés. L’écriture poétique est un travail salutaire. Elle crée des glissements dans la langue, un choc. »
Julien Burri, « Jacques Roman, la pensée émotion », Le Temps, 14 mai 2016 (note de lecture suivie d’un entretien avec Jacques Roman)« Comme un éboulis de blocs d’énergie
Proférations, ce sont treize textes, soit une parole portée, jetée à l’avant du monde, parole qui s’aiguise aux dents, à leurs pointes, avant de franchir les lèvres pour devenir voix avec son ton, ses accents, ses silences, son rythme. Voix, ce roulis de mots dans la pente quand c’est la colère qui emporte, qui met “le faucheur” — image du poète pour Jacques Roman quand il “va à la ligne comme le faucheur se retourne, se retournait, en bout de champ” — en mouvement, lequel cherche à dire ce qui est en question dans le monde comme il va mal.
Jacques Roman a porté ces blocs de prose, corps en avant, il les a proférés sur scène à corps battant dans les vibrations d’une colère d’autant plus forte que retenue. Ce sont ces saetas que nous donnent à lire les éditions isabelle sauvage dans leur belle collection “présent (im)parfait”. Treize flèches tirées contre la langue telle qu’elle se parle mal, contre “la sensure”, cette privation de sens par abondance d’informations et de spectacle. »
Alain Freixe, L’Humanité, 9 juin 2016« Jacques Roman est de ces poètes rares dont chaque livre est un événement. Celui-ci est bouleversant dès son ouverture dans sa façon de ne jamais démêler le corps de l’écriture, le geste de faucher de celui d’écrire. En prétexte de “Charade”, dernière partie de ce livre élégant, on trouve cette citation du poète italien Eduardo Galeano, “Pourquoi écrit-on, sinon pour rassembler ses morceaux.” Rien de plus évident et pourtant c’est en remettant sur le métier qu’on peut – juste – espérer approcher de cette évidence. Si, d’hasard on oublie que Jacques Roman est aussi comédien, d’emblée, la subtile scansion des lignes le rappellera à quiconque a un peu d’œil donc d’oreille. Je suppose que Jacques Roman les a dit sur la minuscule scène de son Espace Éclair lausannois, je suppose qu’ils ont pris voix & corps du poète en chair et en os. Ici encre & papier – en s’aidant de la voix si possible, ce livre n’incite pas à rester coi – font néanmoins résonner les mots comme boulets de charbons dévalant le soupirail, comme ossements jetés à la fosse, comme marrons éclatant sur le toit, c’est dire si ça claque, ça craque, ça excite les sens et l’envie de poursuivre la ligne jusqu’à la tirer à soi pour n’en faire qu’une, sans fin. C’est la première beauté de ce livre. Ensuite, ce que – ce qui – lance la voix, ici, heurte & bouscule, est sans concession ni repentir mais avec une attention de chaque instant pour dans ses aspirations / expirations ne pas laisser entrer “le souffle de la mort” mais, tout de même, “pour se familiariser avec la mort” dans les pas de Sade, de Bataille & de Bernard Noël, avant la grande culbute au bout, tout au bout du champ. »
Claude Chambard, CCP – Cahier critique de poésie, # 33 – 4, 28 février 2017