Nuit témoin

Auteure
Laurine Rousselet
Poésie
128 pages, 12 x 15  cm
Parution : juin  2016

Publié avec le soutien du Centre national du livre et de la région Bretagne

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 16,00

ISBN  978-2-917751-65-7 Catégorie 

Description

« tout tourne / le corps comme un tour­billon du réel / l’encrier dégou­li­nant dans la nuit témoin » – « écrire vient et inter­roge / les racines du chaos / un râle dans la gorge »… Nuit témoin pour­rait s’ouvrir sur l’un ou l’autre de ces vers pris au fil des pages tant ils résument le « propos » de ce long poème comme haletant.
Une rupture amou­reuse, une fuite suggé­rée, et la soli­tude à affron­ter dans le huis clos d’une chambre, l’hiver, la nuit. Reste alors « la lampe de bureau / sa couronne de clarté / les brouillons sous la main / ni rêve ni conscience / juste enre­gis­trer des couloirs de stupé­fac­tion », s’impose d’« écar­quiller les yeux sur l’obscur » – de « crire », seule la nuit pour témoin. Dans l’urgence (« cava­ler », « courir » et ses déri­vés reviennent souvent), poser le désir sur la table. Et résis­ter à la douleur, et vivre encore, s’« accro­cher à la déli­vrance ». C’est qu’il y a, aussi, les enfants, « derrière la cloi­son / deux petites têtes qui dorment », il y a « en travers de ma table / des quan­ti­tés de feutres / des colliers de perles / colo­riages jacinthes et caprices ».
Seule l’écriture, pour Laurine Rous­se­let, plon­gée « dans le ventre de la langue souve­raine », peut empoi­gner la douleur au plus intime du corps. Peut convo­quer – et affron­ter – la mémoire, remon­ter « au loin » des corps désor­mais désunis, du désir passé et présent dans l’absence déchi­rante – son corps brûlant de désir, toujours. Seul « crire », au bout du compte, est à même de trans­for­mer la nuit témoin en « nuit charnière ».

Notes de lecture

« Laurine Rous­se­let : la nuit remue
Le superbe livre de Laurine Rous­se­let porte la trace de la douleur de la rupture avec gravité, force mais aussi beauté. Il n’existe sans doute pas de répa­ra­tion par l’écriture : elle apaise pour­tant, sinon l’auteur, du moins lectrices ou lecteurs empor­tés dans ce fleuve Amour du désa­mour. Chacun peut s’y recon­naître. Du moins celles et ceux qui sont passés par là. Et d’une certaine manière, on le leur souhaite : une telle expé­rience de la douleur “grume­lante” témoigne de l’existence.
Et tout compte fait, reste (presque) un sourire enroulé aux deux alpha­bets des désunis. Il surgit par la force de la poésie et ses minutes ouvertes en tête des corps : elle frappe à l’encre noire pour camper à l’angle des aveux pour une mise hors liga­ture. Au “je ne t’aime plus” (ce rivage d’une mort), le poème répond en perfo­rant l’espace par les éclo­sions du “crire”.
De l’œil au regard s’instruit la média­tion de l’œuvre : sans pouvoir encore le cauté­ri­ser, elle fissure le vide qui a remplacé le corps, ses certi­tudes trop faci­le­ment acquises comme éter­nité provi­soire mais éter­nité tout de même. Et si la nuit habille tout et devient factrice d’insomnie, écrire demeure le “mange-​feu” des flammes qui brûlent en vain dans une consu­ma­tion féti­chiste et qui n’est plus seule­ment réduite à un objet pure­ment narra­tif mais à une spécu­la­tion sensori-​motrice (euphé­misme).
Tout ramène à la nuit mais la poétesse – déjà auteure de grands textes, Tambour (Dumer­chez), Jour­nal de l’attente (I. Sauvage) – l’organise pour tenir dans le noir et dans la vie afin que celle-​ci ne se voie plus seule­ment du point de préexis­tence d’un regard de l’amoureux mais qu’elle se voie de partout.
Suivant sans le savoir une des “leçons” de Lacan (Sémi­naire IX), Laurine Rous­se­let invente un exer­cice poétique qui est la sélec­tion d’un certain mode de regard. Dans la dialec­tique de l’œil et du regard, lorsque, faute de point de coïn­ci­dence, surgit un leurre, il convient, comme la créa­trice le fait, d’en dessi­ner encore les contours.
Prise encore dans la mala­die de l’amour, elle glisse donc inci­dem­ment dans celle de l’écriture. Dès lors, qu’elle se rassure : si de la seconde on ne guérit pas, la première permet, au bout de la nuit, de retrou­ver le jour. »
Jean-​Paul Gavard-​Perret, Lelittéraire.com, 19 juin 2016 (note de lecture suivie d’un entre­tien avec l’auteure)

« Ce qui tout de suite surprend dans l’écriture de Laurine Rous­se­let, c’est qu’elle est une écri­ture du désir, du corps amou­reux, livrée au passion­nel et au pulsion­nel, à l’éperdu et à l’organique, et en même temps une écri­ture de l’effort, de la volonté, du travail, de la maîtrise de soi. De mettre en tension ces deux pôles anta­go­nistes, ces deux injonc­tions vitales contra­dic­toires, la poésie naît. S’abandonner et se recen­trer semblent rele­ver du même mouve­ment. Les deux forces oppo­sées, loin de s’annuler, s’exacerbent. C’est dit d’emblée, avec convic­tion : “la peau désire crire”. Ce crire qui est un crier et un écrire, un cri par l’écriture dont la poésie est l’exploration et l’expulsion, et qui est d’abord l’inscription dans le corps d’une déci­sion de rompre.
[…] Poèmes de la soif et de la faim, et de la déci­sion réso­lue de s’en remettre à eux unique­ment, ils témoignent d’un appé­tit de vivre et d’une rage qui sauvent de la routine et du renon­ce­ment : “l’appétit de vivre demeure de s’opposer” ; “vivre ou s’insurger”. Poèmes de la révolte contre l’écart qui scinde l’homme et son idéal, qui oppose le trop humain et l’amour, ils ne sont pas sans faire songer à la posi­tion de refus et au goût de la liberté (inféo­dée à l’amour) d’une Marina Tsve­taïeva. Poèmes de l’action physique encore (les verbes d’action sont récur­rents : pous­ser, bondir, se déga­ger), ils ne craignent pas de descendre jusque dans l’organique pour retrou­ver l’origine du désir et notam­ment du désir d’écriture.
[…] L’écriture, para­doxa­le­ment peut-​être, naît d’une plon­gée dans le corps, dans la “nuit témoin” (le hiatus ici entre le nom fémi­nin et son épithète inva­ria­ble­ment mascu­lin n’est sans doute pas insi­gni­fiant), nuit témoin qui est comme l’obscure gardienne d’une vie inten­sé­ment vécue, vouée coûte que coûte à la liberté dési­rante. Comme si l’écriture devait avant tout acter, sauve­gar­der le vif de la vie, “enre­gis­trer les couloirs de stupé­fac­tion”, garan­tir au fond un état de dispo­ni­bi­lité à son propre désir. Recon­naître son désir, vivre selon celui-​ci, c’est pour l’auteure d’abord vivre avec la langue au ventre.
L’écriture semble bien viscé­rale pour Laurine Rous­se­let. Elle est de l’ordre de la néces­sité physique et morale, de l’ordre de l’impérieux. […] Écrire ou vivre tendent à réali­ser l’inaccompli, à l’accomplir comme un inac­com­pli toujours à l’œuvre, à se tenir campé au lieu même du désir inas­souvi. Vivre plei­ne­ment est vivre les commen­ce­ments : “le plein vient quand le geste est à l’orée”. »
Laurent Albar­ra­cin, À la litté­ra­ture, 19 juin 2016

« Lais­ser cris­ser “la distance sans trébucher”
Nuit. Nuit témoin. La nuit accueille. Elle vibre en long poème hale­tant. Traver­sée de rage de désir de déses­poir. La poésie de Laurine Rous­se­let habite la page. Strophes déli­mi­tées par des inter­lignes de blancs. Une possible respi­ra­tion pour reprendre haleine, entre le heurt et le choc des énumé­ra­tions où s’affrontent le rouge du sang qui alimente les massacres, tueries et horreurs qui abreuvent les jours et s’enflent au cours des nuits, et le bleu de l’espoir (peut-​être ?) qui tente d’exister au cœur même du chaos.
Crire crisse pareil au cri qui se lit en sour­dine dans la rage violence du désir qui sourd et perle à même la peau, sexes noués confon­dus jusqu’à l’extase avant que de se sépa­rer et de rendre chacun à sa soli­tude première. Écrire/​crire/​crier pour dire l’absence, ce vide insou­te­nable qui ronge jusqu’à la fuite la folie la fureur. Crire pour parfois lais­ser place au sommeil des enfants, à leurs rires à leurs jeux. Crire la vie ses bonheurs ses déchi­re­ments, et les larmes qui perlent au fil des vers. […]
C’est à ses deux enfants que Laurine Rous­se­let dédie Nuit témoin. Amalia et Élias. Ils sont là, endor­mis au creux des nuits, dans le silence de leurs rêves. La vie se lit dans les soupirs de leur respi­ra­tion, redon­nant un peu de courage à celle qui le cherche sous le flux de l’encre. Car seule la ferveur rageuse de l’écriture ramène la mémoire sur la fron­tière entre un passé incom­pré­hen­si­ble­ment défunt et un présent incer­tain soumis à la course effré­née qui se livre. Seul le crire peut rendre à la jeune quaran­te­naire — “quarante trente et un décembre tour­billonnent / sentir passer quand la voix se durcit” — l’exaltation de jadis, celle qui lui permet encore, malgré la déchi­rure, de prolon­ger en apnée sa survie. Son passé d’amoureuse éclate, sexes emboî­tés dans le délire de l’alcôve. Sueurs de l’amour liqueurs parta­gées dans l’intime acco­le­ment de la chair, perles du désir accro­chées à la peau, autant de signes du partage, fusion de feu qui conti­nue de hanter la chair à vif de la brûlure […].
Crire crier écrire lais­ser cris­ser “la distance sans trébu­cher”, telle est la quête éper­due de Nuit témoin, poème trait d’union entre l’avant et le main­te­nant, écriture-​passion ancrée/​encrée sur “l’indéchiffrable”, long aban­don livré au temps d’une course effré­née, tour­billon que rien n’arrête, trouées de rouge qui cherchent leur respir dans “l’obscurité bleuis­sante de la chambre”.
Nuit témoin est nuit char­nière où abri­ter la “sidé­ra­tion”. »
Angèle Paoli, Terres de femmes, août 2016

« L’élan vital de l’auteure s’accroche aux rêves des enfants, “la valse d’un répit”. L’amour mater­nel s’exprime ici avec pudeur mais n’est pas distillé en poin­tillé. Le recueil Nuit témoin parierait-​il pour un dialogue futur, une trans­mis­sion diffé­rée ? Au présent, l’amante brûle encore d’un érotisme flam­boyant : “le sexe impose d’avoir faim”. Les images traduisent et attisent la fièvre du désir : “le vagin fauve attend / de lourdes perles qui font vriller sa lumière”.
Poésie char­nelle, tendre et violente, souvent ellip­tique, qui explore le vécu et l’irruption événe­men­tielle dans la sphère quoti­dienne, voire en culti­vant les passions exclu­sives aux confins de la pensée poli­tique. Derrière la confes­sion intime, émerge l’exigence d’une éthique frater­nelle à cœur ouvert. En affir­mant davan­tage sa singu­la­rité de poète dans cette Nuit témoin, Laurine Rous­se­let illu­mine la langue de son obscu­rité profonde. »
Michel Ména­ché, Europe, janvier-​février 2017

« C’est le désir, ou l’écriture. Chacun se noie dans l’autre. Chacun a la soif de l’autre, ou chacun est l’autre. “Un livre ouvert” comme un corps. Des lettres ou des noms qui griffent le visage. Ou l’inverse. Que de désir, mais parfois “le lit est déserté des mots”.
Un désir qui ne peut être conçu “sans mots”, sans ongles de mots.
Dési­rer et “l’espace entier est blanc” où le corps et la lettre, où le désir et l’encre. La ques­tion n’est qu’entendre les désirs. Tout parle de la chair. […]
“Dire” le désir, c’est aussi “dire” sa soif, son chaos, sa soli­tude, son oubli, son errance, et aussi sa pluie. Le désir commence où il a fini. Sa perdi­tion est son éner­gie. Il se nour­rit de sa propre chute. Mais la nuit est toujours là. La nuit témoin. C’est dans le noir que ça se déve­loppe. Le corps est comme la lumière de ce témoin. Mais “tout est corps et objets”. Écrire ou dési­rer. On ne sait pas au juste. C’est “traver­ser inlas­sa­ble­ment la nudité”. Nu et en aveugle. Rien que la cécité. Traver­ser en noir cette nudité du désir. Traver­ser en aveugle, et rien que la nuit comme témoin. »
Abdal­lah Zrika, L’Actualité Nouvelle-​Aquitaine, n° 115, hiver 2017

« L’écriture parfois sacca­dée génère un certain rythme – hale­tant – de lecture. Pulsions corpo­relles et textuelles qui boule­versent au plus profond de l’être. […] Écri­ture d’un besoin d’un corps animé et brûlant de désir. Le corps “veut vivre de désir le corps veut”. Crier la jouis­sance. Secré­ter des mots et “libé­rer poème”.
La force de l’écriture est double. Elle permet de mettre des mots sur la douleur et d’avancer. […] Elle permet aux corps désunis de se retrou­ver pour un moment intime. Profi­ter encore dans cette “chambre l’absence va nue comme un angle frater­nel au-​dehors tant d’horreur et de haine ne pas plier suivre le cours de la nuit témoin”. »
Alexandre Ponsart, CCP – Cahier critique de poésie, # 33 – 3, 26 janvier 2017

« Après Jour­nal de l’attente, publié aux mêmes éditions Isabelle Sauvage en 2013, qui dévi­dait par le biais d’une écri­ture très ambi­tieuse un long “poème‑récit” consa­cré à “la déme­sure de l’amour et du sexe”, Laurine Rous­se­let publie Nuit témoin. C’est un beau livre dont le thème essen­tiel, la douleur, celle que provoque la rupture amou­reuse, est traité par le truche­ment d’un phrasé lapi­daire, de vers construits autour d’une syntaxe dépouillée, presque enfan­tine, qui toujours court à l’essentiel – dénue­ment, manque, souf­france ramas­sée en boule. Les corps des amants surplombent la scène du désastre, eux désor­mais sépa­rés, comme arra­chés l’un à l’autre. Et la nuit devient le domaine majeur où ce qui reste de vie peut adve­nir comme en une immense forêt peuplée de seules ombres obscures. Écrire, crier, “crire” sont de pauvres recours, de maigres secours, face à ce chagrin hale­tant qui dévaste l’amoureuse ampu­tée. Un “poème au noir”, déchiré, souverain. »
Alain-​Gabriel Monot, « Le Pêle‑Mêle », Hopala !, n° 53, 1er trimestre 2017

« Jour­nal de l’attente et Nuit témoin, deux recueils que Laurine Rous­se­let a publiés dans une maison d’édition bretonne, consti­tuent un fasci­nant diptyque. Les deux livres se ressemblent, sous leur belle couver­ture noire respec­tive, noire comme l’attente trop longue, noire comme la nuit.
Il en va de même du contenu et de la forme : des deux côtés, il s’agit de poèmes courts, d’une quin­zaine, envi­ron, de vers libres, brefs et sacca­dés. Des obses­sions textuelles et des thèmes récur­rents se retrouvent égale­ment de part et d’autre et l’ensemble est recou­vert de la même nappe d’obscurité féconde : un magma sous tension, qui mêle le point de vue de l’adulte et de l’enfant, du fémi­nin et du hors-​sexe, du sexuel et du spiri­tuel pour former un long poème épique et nocturne, fort et sauvage, à la fois abstrait et presque imper­son­nel, orga­nique, enfan­tesque, barbare, femelle, angois­sant. L’écriture de Rous­se­let, dans ces deux livres, est corpo­relle, pulsion­nelle, ryth­mée : le verbe, souvent à l’infinitif, est le mot totem de cette poésie de l’énergie et de la vitalité.
Il peut donc s’agir d’un seul flux recou­vrant de façon arbi­traire deux livres qui pour­raient n’en faire qu’un seul. Mais la descrip­tion inverse pour­rait tout aussi bien conve­nir à Jour­nal de l’attente comme à Nuit témoin. Car la poétique de Rous­se­let peut être ressen­tie comme parti­cu­liè­re­ment écla­tée. C’est alors non pas l’ensemble des deux recueils qui servi­rait d’unité, ni chaque recueil pris isolé­ment – ni même les poèmes, mais, tout simple­ment, le vers. Et celui-​ci se limite parfois à un mot : “noué”, “entiers” ou “écla­tant” dans Nuit témoin, “cava­lée”, “percée”, “recrache” ou “feuer” dans Jour­nal de l’attente.
Ainsi, la lecture de ces deux livres peut se faire d’abord de façon kaléi­do­sco­pique : dans les poèmes, certains vers, qui semblent briller davan­tage que les autres, s’isolent du magma comme “l’espace est une réalité mouillée”, “d’avance les soleils ne m’ont jamais manqué”, “ailleurs t’envoie un baiser bleu” dans Jour­nal de l’attente et, dans Nuit témoin, “le quar­tier de lune cloue l’œil”, “la main prend feu de la vie”, “sur ma tête la nuit se jette de non-​sommeil” ou “je m’inconnue”, qui marque le fémi­nin de façon rare et troublante.
Mais il est aussi possible de consi­dé­rer les poèmes comme des ensembles, en étant sensible à leur rythme interne : au début, l’énergie s’accumule, au moyen d’une succes­sion d’infinitifs occu­pant des vers-​phrases courts et auto­nomes, puis, comme dans un sonnet, une flèche finale apporte une forme d’apaisement, peut-​être produit par la présence d’une phrase longue qui se déploie soudain sur plusieurs vers et qui résonne parfois comme une maxime classique. »
Laurent Demou­lin, Culture, Univer­sité de Liège, juin 2017