Seul / double

Auteurs
Anaïs Bon / François Heusbourg
72 pages, 12 x 15 cm
Parution : juin 2015

Publié avec le soutien de la région Bretagne

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 14,00

ISBN  978-2-917751-55-8 Catégorie 

Description

Seul / double est construit par échanges succes­sifs de poèmes par cour­riels sur onze mois, chaque auteur répon­dant à l’autre sans contrainte de temps ni de forme. Dans cette corres­pon­dance le jeu est moins de questions/​réponses que d’association d’idées, chacun pour­sui­vant le propos de l’autre dans la singu­la­rité de son style. Ainsi deux voix très diffé­rentes s’allient et composent ensemble un texte d’une réelle unité tout en inter­ro­geant l’altérité dans son fond comme dans sa forme. Partis tous deux du « je », ils évoluent au fil de ce tres­sage de voix. L’une s’efface derrière le « on » de la percep­tion commune, l’autre se laisse comme infil­trer par une autre voix entre guille­mets. Plus l’un travaille la brisure épurée du vers, plus l’autre donne de l’amplitude à la phrase.
De cette arti­cu­la­tion entre deux voix naît une ligne de présence au monde, empreinte de désen­chan­te­ment (mais comme le souve­nir d’un enchan­te­ment), d’un être-​là, sur le seuil : « tant qu’il y a de la place dans le regard » (AB), « je compose des visages face au miroir » (FH) ; « nous avons ramassé les jours tombés sur le pas de la porte » (FH), « les dispa­ri­tions n’effacent rien » (AB). « Comment défaire cette proxi­mité immé­diate / d’un jour avec un autre jour / comment ouvrir » (FH) ; « la vie se glisse comme la pous­sière / dans les inter­stices de nos heures empi­lées / et quelle cendre / si l’on souffle dessus » (AB).

Notes de lecture

« Deux auteurs pour un livre au titre énig­ma­tique, extrait d’un poème du recueil : “s’écrire / seul double / un langage sur l’autre” (p. 65). On est déjà dans l’ambiguïté : faut-​il entendre dans “s’écrire” un écrire-​soi et le dédou­ble­ment qui s’ensuit, ou bien “s’écrire” l’un à l’autre, dans un échange de lettres ?
[…] Ici, on est devant une alter­nance (est-​elle si stricte que cela ?) de deux écri­tures qui se font écho tout en restant distinctes, dans un jeu de dialogue par reprises assez nettes dans le détail : “Je m’y promène toujours en silence, cher­chant une réponse à mes propres pensées, dans l’invention d’un compa­gnon qui n’a jamais été donné à cette soli­tude” (p. 12). À quoi répond l’incipit du poème suivant, page 13, “j’habite tout l’espace de ma soli­tude”. De même pour les “heures” pages 39 et 40, ou pour “le nez contre la vitre” (p. 58 – 59). Ou encore “De si petits objets suffisent à tuer” (p. 42), et “d’autres petits objets qui tuent” (p. 43)… Pour le lecteur, la ques­tion n’est donc pas l’entrecroisement, le tissage des poèmes ; par contre, qui est au bout du fil ?
Sur ce point, les auteurs n’aident guère : on ne peut déci­der, par exemple, qui signe le premier poème, ce qui permet­trait d’attribuer le suivant à l’un ou à l’autre, etc. pourvu qu’il s’agisse d’une véri­table alter­nance, tenue tout au long du recueil…
[…] Mais est-​ce impor­tant, au fond ? Ce dialogue poétique aux inter­lo­cu­teurs flous ne vaut-​il pas en lui-​même, dans une avan­cée vers une sorte de poésie sinon anonyme, du moins un peu désin­di­vi­dua­li­sée ? De fait, après un temps de désta­bi­li­sa­tion, le lecteur laisse filer la ques­tion du “qui écrit ?” pour ne plus rete­nir que le poème lui-​même. Au passage, on remar­quera que ce dispo­si­tif déplace, ou tend à annu­ler la ques­tion d’une poésie “fémi­nine”, ou “mascu­line”. Ici, les paren­tés de regards et de thèmes l’emportent sur les diffé­rences stylis­tiques ; il y a bien deux voix, mais on entend davan­tage leur rencontre que leurs soli­tudes distinctes : “restent les doigts, tendus de l’un à l’autre par un vaste réseau de fils et d’ondes (…) ces autres mains sur un clavier / guidées par l’écho d’une autre pensée” (p. 38), ou “les voix s’allongent dans l’ombre / et le silence / sèche au soleil” (p. 11). »
Antoine Emaz, Poezi­bao, 10 août 2015

« Vivre se résu­me­rait à écrire, ou lire, “les pages de sa propre fable”, comme le suggère le premier poème ? à cher­cher, en vain, l’absent(e) ? à refu­ser un monde où l’on ne sait que comp­ter les choses ? Pas exac­te­ment. Le rêve comme refuge, sans doute, mais le refus d’un état du monde n’exclut pas de vouloir “toujours apprendre à vivre” ; il s’agit de rompre le silence, si diffi­cile cela soit-​il, et par la variété des rencontres essayer de recon­naître l’autre, essayer de comprendre comment on vit le temps. […]
“seul double”, soi et étran­ger, sachant que dans l’approche de l’autre il faut accep­ter le malen­tendu, et passer outre. Qu’apprendre à vivre implique certai­ne­ment de savoir qu’il restera peu — rien — de ce que l’on aura fait, dit, écrit, “La vie se glisse comme la pous­sière / dans les inter­stices de nos heures empi­lées / et quelle cendre / si l’on souffle dessus”. Mais encore de savoir qu’il faut sans cesse reprendre la conver­sa­tion — le latin conver­sa­tio, c’est à la fois l’action de tour­ner et de retour­ner, et la fréquen­ta­tion — au-​delà du silence, de l’oubli, ce que rappelle le dernier poème :
chacun se débrouille avec son silence
après deux nuits, tout fut oublié
le dialogue se pour­sui­vit sans eux”. »
Tris­tan Hordé, Sitau​dis​.fr, 16 août 2015

« Sous ce petit livre se cache une corres­pon­dance échan­gée sur onze mois, du 16 mars 2012 au 18 février 2013. Pour­quoi le chiffre onze et non pas douze mois ? Est-​ce une volonté de lais­ser le cycle inachevé afin que le lecteur termine de lui-​même ce recueil ? Aucune réponse ne nous est donnée.
Il s’agit, entre Anaïs Bon et Fran­çois Heus­bourg, d’échanger des pensées, des idées, chacun dans son style. “Que rencontre-​t-​on quand on rencontre / sa chair spécia­le­ment douce […] Chaque rencontre est la possi­bi­lité pour soi-​même / d’une autre vie.” Assem­bler deux voix autour d’un même thème et les lais­ser s’unir pour compo­ser ces poèmes. Seuls / double. Pour­tant le titre nous prive du pluriel : seul / double. Plus qu’une seule voix derrière laquelle le lecteur retrouve les deux auteurs. Les styles sont diffé­rents ; passage du vers à la prose, de cita­tion à l’emploi de l’italique. Mais comment savoir à qui appar­tient tel ou tel paragraphe ?
À la première lecture, le lecteur reste concen­tré afin de décou­vrir lequel des deux auteurs a commencé le poème. Et ainsi, pouvoir attri­buer le vers suivant à l’un ou à l’autre dès lors qu’il s’agisse d’une alter­nance respec­tée. “Nous voilà ouvrant les fenêtres / le soleil baisse plus souvent / on pose le doigt sur ce qui passe / sur ce qui compte – ou qui pouvait comp­ter. Nous voilà fermant les fenêtres / glis­sés dans les plis incer­tains / le nez contre la vitre / vois-​tu, peut-​être que l’on se trompe.”
Mais il faut une seconde lecture pour dépas­ser cette inter­ro­ga­tion et se lais­ser porter par la poésie. Ce n’est plus “seuls” mais seul ; la rencontre a eu lieu. “Restent les doigts, tendus de l’un à l’autre par un vaste réseau de fils et d’ondes.” »
Alexandre Ponsart, CCP # 32 – 4, 30 août 2016