Description
Allusion aux Prolégomènes à toute métaphysique future qui pourra se présenter comme science (1783) d’Emmanuel Kant, le titre de ce recueil de 54 aphorismes et 5 « apartés », s’il fait l’économie du futur ne fait pas celui de la science : entendue comme art, non pas tant art poétique qu’art de vivre. Aussi, pour paraphraser d’encore plus près Kant, aurait-on pu titrer Prolégomènes à toute poésie qui pourra se présenter comme art de vivre.
Mais pourquoi cette disparition du futur ? Peut-être cet aphorisme l’éclaire-t-il un peu : « Le présent étant infini, le temps ne s’y voit pas passer ; mais nous aurons tout vécu et ce futur nous est donné puisqu’il est acquis que nous y sommes infiniment engagés. »
Ce qui en tout cas justifierait qu’on se soit arrêté à Prolégomènes à toute poésie, pour n’avoir pas non plus à utiliser le futur conjugué dans pourra se présenter.
Il ne s’agit donc pas d’un « art de vivre » qui préluderait à la poésie. Nul besoin de d’abord « savoir vivre » pour pouvoir ensuite prétendre à la poésie. Ces Prolégomènes ne sont pas des conditions préalables. D’où le « toute » de toute poésie : de partout et de tous les temps, ici et maintenant toujours, à chaque fois, à chaque poème et en même temps.
« Les idées sont “dans l’air” ; l’air est plein d’idées. Mais la poésie, qui est l’air même, y appelle le vide en plus. »
« Profiter de n’être rien pour dire tout en plein silence. »
Notes de lecture
« Poétique de l’être humain
“Tandis qu’aux invisibles il faudrait un œil qui les regarde depuis sa clôture et les aime en dedans.”
Cet aphorisme poétique se veut une mesure obscure et délicate dans la partition lumineuse des Prolégomènes à toute poésie de Stéphane Crémer. Qu’y‑a-t-il avant la poésie ? Quels sont les axiomes qui régissent son écriture ? Ce sont ces questions auquel ce long poème musical composé d’aphorismes semble vouloir répondre.
[…] Ce livre sonore est d’une magnifique facture : du langage ciselé à la composition rigoureuse. Le poète y est un Robinson dont l’île est la langue et les pierres les mots. S’y bâtit une ode à la création, à l’inutilité et à la vitalité de l’acte poétique, en particulier dans les apartés qui ponctuent le poème.
[…] Se détache de cette quête poétique, une quête plus universelle encore : celle de l’homme et des chemins qu’ils empruntent pour la mener à bien. Comme devise à ce cheminement métaphysique partagé par tout être humain, murmure la voix du poète :
“Ignorer où on va mais choisir d’y aller.” »
Morgan Cariou, Aphorismundi, 23 novembre 2015