Proëlla

Auteur
Erwann Rougé
Poésie
64 pages, 12 x 15 cm
Parution : juillet 2020

Publié avec le soutien du Centre national du livre et de la région Bretagne

Voir les premières pages

 13,00

ISBN  978-2-490385-08-9 Catégorie 

Description

« Dans le rite reli­gieux oues­san­tin de la proëlla, le corps du marin disparu en mer est symbo­lisé par des petites croix de cire (proëlla) veillées au domi­cile du défunt, ensuite portées à l’église et trans­fé­rées au cime­tière », nous précise Erwann Rougé dès l’exergue. Mais le terme proëlla signi­fie égale­ment, litté­ra­le­ment, en breton, « retour au pays ».
Cette suite de poèmes, qui s’écrit dans « le va-​et-​vient des morts et des vivants » une nuit de dimanche pour finir « à cinq de lundi », ponc­tuée de chants comme autant de requiem, consti­tue elle-​même une proëlla, un tombeau « pour un énième disparu en mer / ou ailleurs », une petite croix de mots symbo­li­sant tous ces corps perdus en mer, perdus en terre, tous ces corps qui ne sont pas là, ne sont plus, et qui auto­rise peut-​être à les pleu­rer enfin… Les corps de marins, mais aussi ceux suppli­ciés de Sabra­tha, Alep ou Bodrum, tous lieux qui ne sont plus que le nom des guerres, de l’exil, du désastre (« le lieu n’est plus l’humain »).
Se tenant toujours à « la lisière des mots », avec une appa­rente simpli­cité, Erwann Rougé dit les corps entou­rés d’eau – le mort a « toute la largeur de mer pour le porter » –, enve­lop­pés de silence, « puisqu’aucune parole / ne pourra les sauver », survo­lés par les oiseaux (figure récur­rente dans l’œuvre de l’auteur) – « un claque­ment d’épervier », « le piqué d’une sterne », « la fièvre / impi­toyable des corbeaux »… À l’appui de l’air et du vent, ils ponc­tuent le texte : « la mort est une aile ». Sont évoquées aussi toutes les vies passées, et combien « mourir est un manque ».
Ces poèmes de la nuit, parfois émaillés d’une voix exté­rieure, dépêche, témoi­gnage ou inter­ven­tion d’un narra­teur, prennent à bras-​le-​corps le réel tout en main­te­nant sur le fil une langue de l’intime, du trem­ble­ment, de la faille.
Un tombeau : « rien de plus. voilà tout »… « et les galets sont sans remords ».

Notes de lecture

« Loin des images qui jaunissent dans les albums de voyage ou sur les cartes postales, pas une ombre, pas une chapelle ou un calvaire couleur sépia n’incite dans ces pages à la compas­sion touris­tique, le drame, la tragé­die, les pleurs inex­tin­guibles qui se mêlent au sillage des bateaux n’étant pas plus à vendre que les dépouilles des migrants pour­tant dix fois vendues.
Le poème, s’il n’oublie les pêcheurs d’Ouessant, n’évoquera d’ailleurs plus que ces naufra­gés dont les cadavres flottent à la surface de la Manche ou de la Médi­ter­ra­née, qui plongent, s’enfoncent, dispa­raissent en silence ou errent parmi des syllabes à peine arti­cu­lées, “aucune parole”, Erwann Rougé en a doulou­reu­se­ment conscience, “ne [pouvant] les sauver”. »
Lionel Bourg, Sitau​dis​.fr, 11 août 2020

« Chez Erwann Rougé, la mer n’est jamais loin. Cette fois, c’est sur l’île d’Ouessant qu’il la retrouve. […]
Une longue nuit débute. Elle va s’étirer du dimanche soir au lundi matin. En mer, un homme ballotté par le ressac, sent la force de l’eau le tirer vers les bas-​fonds. Bien­tôt, il ne sentira plus rien. Ses os, ses tendons, ses muscles, ses vertèbres ne seront plus reliés à son cerveau. Il vit ses derniers instants. Revoit défi­ler des morceaux de vie, des bribes de paroles, des décors ébré­chés. Pendant ce temps, à terre, l’angoisse monte cres­cendo. Toutes les dispa­ri­tions se ressemblent. Quelqu’un attend des nouvelles qui ne vien­dront plus. Ou qui seront portées par un messa­ger qui annon­cera l’irréparable. […]
Dans bien des endroits du monde, personne ne vient frap­per aux portes. L’angoisse s’empare tout aussi dure­ment des proches qui savent évidem­ment que leur disparu, qui était peut-​être l’un des innom­brables qui, après avoir traversé le désert, étaient partis s’embarquer à Sabra­tha ou ailleurs, gît main­te­nant au fond de la Médi­ter­ra­née, entre la Libye et la Sicile. Lui, elle, tout ceux dont les corps jonchent cet immense cime­tière marin n’auront de “proëlla” que celle qui leur est ici dédiée par Erwann Rougé. […]
Chants et contre-​chants ponc­tuent les heures d’une nuit fragile, à la fois marine et terrestre, éclai­rée par des éclats de poèmes brefs et inci­sifs qui incitent à garder en soi le souve­nir de ceux qui reposent sous l’écume, sans nom, sans sépul­ture, sans linceul. »
Jacques Josse, Remue​.net, 8 octobre 2020

« Le recueil dans son entier est un long thrène sur les violences qu’infligent les hommes à leurs pairs, sur le malheur que beau­coup traversent sans retour, condam­nés à mourir englou­tis. Un texte très fort qui place le lecteur devant un chant qui dérange, car, comme l’écrit le poète breton :
“on supporte mal d’entendre
le poème qui enroule
une parole autre.”
Le poème d’ouverture — non titré —, donne d’emblée la tona­lité sombre de cette parti­tion. Et pose les premiers accords d’une écri­ture de la sobriété. Les strophes sont brèves, disjointes par des lignes inter­ca­laires et par un point final. Sans qu’aucune majus­cule initiale vienne pertur­ber l’homogénéité de l’ensemble des pavés de texte. Laquelle s’harmonise, à mes yeux, avec l’anonymat des “ils”, des “lui”. […]
Mais la voix domi­nante de cet ensemble et qui met au jour l’architecture secrète du poème, c’est la voix sans visage du chant. Celle qui se réitère de façon séquen­tielle, et qui revient comme la vague à l’instant du ressac. Elle est la voix qui guide dans la traver­sée du poème, celle qui conduit la marche au-​delà de l’heure blanche, à la recherche d’un ailleurs. Dans “la cour­bure d’une dune” et dans le “cri d’un sirli”. Peut-​être appartient-​elle à ce gamin de douze ans qui court le long de la grève dans l’attente de la beauté. Laquelle se rencontre dans un “batte­ment d’ailes”, dans le frôle­ment d’une plume, ou dans le vacille­ment invi­sible du vent. Pour­tant, au cœur même de la vie qui fait battre le sang dans les veines, demeure un noyau impé­né­trable, car les “galets sont sans remords”. »
Angèle Paoli, Terres de femmes, novembre 2020