Description
Terre sienne est, Yves di Manno le dit lui-même, le livre du retour à la poésie de son auteur, qui a plutôt consacré ces dernières années à la traduction ou à des ouvrages de réflexion.
Pour point de départ, l’invitation par l’artiste Mathias Perez à écrire sur ses peintures, dans l’idée d’en faire un livre peint, à très peu d’exemplaires. Yves di Manno s’est prêté à ce jeu d’« illustration » (de façon singulière, les mots ici illustrant la peinture), de la contemplation, « intensément ». Pour comprendre que de cette « coulée d’encre » le poème s’était imposé de lui-même, et n’avait plus nécessairement besoin du châssis qui l’avait fait naître : il se tient seul sur la page, contenu dans son « drap // doublement // déplié », et déroule son intime cheminement : « ces nuits, ces voix // ces plaies plus que ces plaintes / sillonnant à leur tour // le pré comme une page // l’encre comme / un présage // ces vers comme du sang ».
Or « celui qui ne traverse pas / la page reste // au bord / du sentier recouvert // par l’eau / noire qui déborde // du torrent ». La page est ce paysage toujours et encore traversé par Yves di Manno – champ, pré – tourné vers le bord, la lisière, un horizon paradoxal, hésitant sans cesse entre les plis, horizontaux et verticaux, d’une terre au corps fouillé, à la chair entamée. Car le rapport est sombre, indécis mais prégnant entre la terre et le corps, également « couchés », « tranchés », « mutilés », au lit, aux draps partagés : « entailles vertes // saignements », « incise verticale » / « chair entamée ». Des tons de terre, terre sienne donc, vert, noir, imprégnée d’humus / d’humeurs, cernée par l’« ouragan / des herbes folles // arrachées aux / abords du pré ».
Un paysage dessiné en peintre, mais avec les armes de l’assonance, de l’homophonie voire de la rime, travaillant la langue comme une matière charnelle, organique. Un paysage fait de « lettres couturées », de « phrases dérobées » et de parenthèses, non fermées – « la page qu’une / main signe // à l’arraché ». Où finalement terre et corps se dissolvent : « une mue ? // s’acheminant vers un corps sans // passé ni lendemain // une peinture sans paysage // un poème / hors du langage ».
Notes de lecture
« [Yves di Manno] a voulu que son poème grandisse au point de s’extraire de la gaine de visible qui avait entouré sa naissance : la présence miroitante des peintures. Muant, le poème se débarrasse de la peau intensément colorée et nervurée des œuvres picturales, et paraît de sa seule présence. […] Muant, le poème devient tout sauf muet : l’on est en prise avec une présence qui, si elle est parcourue par la présence énigmatique des disparitions, n’en est pas moins assourdissante. Assourdissante d’un réel soudain apparent. »
Matthieu Gosztola, Europe, mars 2013« … l’attention du lecteur se porte constamment sur le travail de la langue, qui aboutit à ce que l’on se déplace d’un inconnu, les peintures absentes, à un autre inconnu à chiffrer sans cesse, les poèmes. »
Tristan Hordé, Sitaudis.fr, 7 février 2013« l’océan de terre
& d’herbes
donne déjà les deux couleurs majeures. Par petites touches, on entre dans la superposition de la page et du paysage :
Pour rejoindre en lisière
de la page
pliée le bois fossilisé
Une poésie épurée mais aussi très présente, un écart que tient bien Yves di Manno quant à la fin nous découvrons que c’est en regardant (dans un livre) les peintures de l’artiste Mathieu Pérez qu’il a écrit ces poèmes…Alors change le point de vue du lecteur qui, pris dans un autre écart celui de nature et culture se met à relire le tout… »
Françoise Favretto, L’Intranquille, n° 15, octobre 2018-mars 2019À lire :
• Des extraits de Terre sienne sont à lire et à écouter dans l’anthologie Gare maritime 2012 de la Maison de la poésie de Nantes