Sommes nous

Auteure
Sofia Queiros
Poésie
72 pages, 12 x 15 cm
Parution : février 2017

Publié avec le soutien du Centre national du livre

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 13,00

ISBN  978-2-917751-73-2 Catégorie 

Description

Sommes-​nous se compose de deux parties, « Nid » et « Brins et débris », dont la première serait comme un resser­re­ment de la seconde, peut-​être aussi comme un arrêt sur image.
« Nid » déroule, au présent, de petites proses où elle et je (fémi­nin) se croisent, se contre­disent et se confondent alter­na­ti­ve­ment, en couleurs et en grisaille. L’une effa­cée et l’autre extra­ver­tie, entre rêve et réalité (ce qu’on est et ce qu’on aime­rait – ou pour­rait – être), pourrait-​on dire, rejointes par un il. Ce il semble d’abord rêvé/​imaginé par elle ou je, en ce qu’il « aime­rait pouvoir pisser debout comme ses congé­nères » ou avoir « un corps qui n’enfante pas » alors qu’il semble bien avoir tous les attri­buts d’un il… Puis il rentre lui aussi dans la danse, « il trouve que l’on ne fait pas suffi­sam­ment atten­tion à lui » quand elle ou je aime­rait être regar­dée, aimée, tout simple­ment remar­quée, et « monte aux arbres » quand « elle monte sur ses grands chevaux », dans ce mouve­ment de balance entre les verbes qui font toute cette partie (je/​elle s’étonne, elle noue/​je dénoue ou encore « elle est sur les genoux de l’Italien » / « je suis sur les genoux comme souvent à la fin d’un jour »). Troi­sième facette fina­le­ment du même être, puisqu’« elle il je partagent la même maison le même lit… la même vie la même ».
« Brins et débris », de son côté, est une lita­nie de et, trois par page, conju­guée à l’imparfait ou au parti­cipe présent, qui ne dit pas autre chose que la vie et la mort entre­mê­lées : « et les objets entas­sés comme butin de vie / à la mort d’un qu’on chéris­sait se perdaient dans les mains fragiles d’un autre qu’on igno­rait » ; « et la jour­née arri­vant à ses fins comp­tait ses victimes hommes femmes et enfants qui s’étaient échi­nés à se rendre heureux à faire la vie ». Autant de bribes d’humanité, scènes et tragé­dies du quoti­dien, tous et chacun empor­tés dans la ronde de la vie, « envers et »…
Comme toujours chez Sofia Quei­ros, Sommes nous est emprunt d’une grande huma­nité, d’une grande tendresse. Sa prose poétique, très ryth­mée, est en appa­rence simple mais, légè­re­ment bous­cu­lée, avec des mots acco­lés inat­ten­dus, dérou­tants, jouant sur l’ambiguïté, elle nous emmène où nous n’avions pas prévu d’aller… Mais toujours dans nos vies, nos batailles à vivre.

Notes de lecture

« Sofia Quei­ros reste fidèle aux éditions Isabelle Sauvage et y publie un nouveau recueil : Sommes nous. L’atmosphère est fami­lière aux lecteurs de Sofia Quei­ros, le train n’est pas loin, ni le chef de gare, et le voisin pour­rait bien surgir derrière la clôture…
Sommes nous. Il s’agit d’être, en effet ; d’être au monde, d’une appré­hen­sion de ce que cela pour­rait signi­fier, même si la réponse se dérobe au fur et à mesure que les mots creusent. Le nous est une surprise dans ce déploie­ment de je, il, elle. Le portrait d’une femme est esquissé, à de multiples reprises. Tantôt plein de fémi­nité, tantôt mascu­lin. Une fille timide succède à une femme forte qui hurle et n’a que faire des appa­rences, des marques de la séduc­tion les plus gros­sières, elle fume, les jambes écar­tées… Puis la femme est vieille, rede­vient un enfant, comme dans un rêve, brus­que­ment c’est un homme. L’humour est présent, parfois grin­çant, le sourire est peut-​être une grimace.
La deuxième partie est plus sombre, on oscille de la vieillesse à l’enfance, entraî­nés vers une gale­rie de person­nages pris dans leur inti­mité, avec un soup­çon de violence et d’obscénité tandis que, comme dans les autres recueils, plane sur les pages l’ombre de l’ogre qu’une approche lente et doulou­reuse tente d’apprivoiser.
C’est un texte riche et réussi qui peut faire penser, en parti­cu­lier dans la deuxième partie, à L’Arrêt de mort de Maurice Blan­chot où, malgré le manque absolu de logique, le texte nous parle de la mort et de l’extrême angoisse qui nous étreint, des peurs enfan­tines mais combien réelles, vivaces, à l’intérieur de nous.
Sofia Quei­ros a encore une fois mis au jour une part de l’univers étrange et poétique qui est le sien et a su renou­ve­ler la forme qui permet ce dévoilement. »
Martine Monte­bello, « Le nous est une surprise », L’Actualité Nouvelle Aqui­taine,
n° 116, prin­temps 2017

« Joie de retrou­ver l’écriture de Sofia Quei­ros dans ce nouveau recueil Sommes nous. Ici, de petits textes se suivent comme des échan­tillons de pensées. Celles-​ci s’enfilent comme des perles, forment des mini-​listes. Ces listes de petites choses se situent dans l’action avec une série de verbes : parler, patau­ger, marcher, s’étonner, dési­rer qui côtoient et contrastent avec le besoin d’hurler, la rage enfouie autant de signes d’existence et de vivre. Sommes nous, c’est elle, c’est il, c’est je. C’est avant tout de l’humain, homme et femme, de soi, de nous, de notre place dans le monde, de chacun de nous avec nos parti­cu­la­ri­tés, nos sensi­bi­li­tés. Il ne s’agit pas seule­ment de l’homme et de son nombril, mais de l’homme et de la conscience du monde. Ce “il” qui “pense à la mer Médi­ter­ra­née qui ressemble à un cime­tière”, est glissé dans un texte parmi d’autres choses dont l’amour et la vie quoti­dienne. Sofia Quei­ros évoque, parmi d’autres choses, le besoin d’attention dont fait preuve chaque être humain. Elle évoque et puis laisse s’envoler la conscience, le fil du texte se déroule, sautant de pensée en pensée. De soi, aux gens dans la rue, à l’humanité toute entière, où pour­rait être la diffé­rence dans le fond ? Ainsi tant de pronoms, qui fina­le­ment se rejoignent, forment une même personne et la complexité de l’être humain.
Dans une seconde partie, “brins et débris”, les textes restent sans ponc­tua­tion, mais sont décou­pés en 3 strophes, comme pour donner de l’aération ou une forme d’organisation de la pensée. Telle une série de petits tableaux, cette deuxième partie évoque davan­tage la violence, aborde beau­coup de sujets de société, de l’enfance aux problèmes des adultes, à la vieillesse et la mort. En quelques lignes, quelques mots, Sofia Quei­ros a une force d’écriture qui permet d’aborder des sujets graves en rappe­lant que le monde est aussi capable de douceur. »
Cécile Guivarch, « Hep ! Lectures fraîches ! », Terre à ciel, avril 2017

« Il y a dans ces proses une atten­tion aiguë aux petites peurs que l’on garde pour soi, aux petits gestes de l’enfance, aux petits mouve­ments de tendresse que l’on n’oublie pas, à tous ces petits riens dont la vie est construite, qui façonnent chacun. Ce sont tous ces moments que rassemble Sofia Quei­ros dans Sommes nous — l’absence de trait d’union n’est pas fortuite —, tout en sachant que cette somme ne vise pas à dire une unité impos­sible, ou s’il y a unité elle est de choses disjointes : “le merle moqueur (…) jamais ne se posait plan plan pour construire nid brins et débris”. »
Tris­tan Hordé, Sitau​dis​.fr, 26 avril 2017

« Sofia Quei­ros sou­ligne ce qu’il existe de fas­ci­nant, d’opaque, d’inépuisable en l’être. Le texte reste la traque d’ombres par l’hydre des mots les plus justes. La poé­tesse ne théâ­tra­lise jamais l’humain : une com­pré­hen­sion plus pro­fonde des rap­ports qui unissent et régentent l’être à lui-​même fait de la poé­sie un cor­pus dressé sur notre abîme. L’ensemble anime une lutte per­pé­tuelle du corps et de l’esprit dans l’accomplissement ou l’écrasement de leurs désirs opposés.
Le tout dans une écri­ture alter­na­tive, inci­sive, frag­men­tée propre à mettre en scène le et les sens dans leur hybris. Elle maté­ria­lise aussi des régions de l’inconscient. Chaque frag­ment devient “un lieu men­tal” par lequel le lec­teur peu à peu se laisse investir. »
Jean-​Paul Gavard-​Perret, Lelittéraire.com, 28 avril 2017

« Rele­ver les traces possibles de notre hypo­thé­tique exis­tence, de nos incer­taines iden­ti­tés, telle semble être la visée de la poésie de Sofia Quei­ros. […]. Son livre récent ne déroge pas à cette incli­na­tion ; son titre est d’une remar­quable ambi­guïté : sommes nous, dont on ne sait s’il faut l’entendre comme frag­ment d’une inter­ro­ga­tion exis­ten­tielle ou affir­ma­tion de la disso­lu­tion du je dans le jeu des semblables. À coup sûr, au fonde­ment de la démarche, un éton­ne­ment proche de la sidé­ra­tion (d’être là, d’être soi), un malaise consé­quent que l’écriture va cher­cher à expri­mer et transmettre.
[…] Tout ceci se résol­vant dans le poème final à la strophe unique : Sofia Quei­ros ne lais­sera personne prétendre que l’enfance est le meilleur moment de la vie…
“et l’univers s’entrechoquant ne se déci­dait pas contre toute prophé­tie à mettre fin au monde qui conti­nuait vivant sa ronde envers et” »
Claude Vercey, « Et l’uni­vers ne se déci­dait pas à mettre fin au monde », Décharge, I.D, n° 706, 24 août 2017

« Une voix se dédouble : deux pronoms, elle et je, se font face : “elle ne parle pas très fort” dit la page de gauche ; “je hurle dans les oreilles”, répond celle de droite. Comment affir­mer son exis­tence dans un monde déjà comble ?
Le titre du livre, Somme nous, sixième ouvrage de Sofia Quei­ros, s’écrit sans trait d’union : pas une ques­tion, l’in­té­grité du verbe, le poids du pronom. La voix cherche son iden­tité, je agit et se regarde agir, elle. Et je elle = nous. […]
Le “Nid”, titre de la première partie, foisonne de plumes désor­don­nées dans lesquelles l’en­fance rebon­dit, comme les deux mots mélan­gés par un enfant qui bute sur l’ordre des mots et “patauge dans la boue bottes en caou­tchouc mitaines en laine qui pique les mains”. […] Un air de ritour­nelle. Le néces­saire énoncé de rien […]. Et ce goût pour “ce qui de guin­gois” la fait se recon­naître dans les malheu­reux qui accordent du prix aux choses : “un mouchoir en tissu écos­sais comme si précieux”. Il manque des verbes, on va vite, on dit comme on pense […].
La seconde partie tisse le “nid” de “brins et débris” de nous, comme l’an­nonce son titre […] la construc­tion du nid est précise et rigou­reuse dans sa forme de sommes.
Inven­taire large, somme de rémi­nis­cences parfois datées : cafe­tière, objets entas­sés, mur, nuit, un film d’Et­tore Scola, le portrait du Géné­ral… Après le je, elle, il, voici les ils et elles autres : “la vieille femme”, “la labo­rieuse”, “la mère”, “la mère-​grand”, “l’aîné”, “le puîné”… Le nous devient celui de la famille. Bribes d’his­toire, ébauches de faits non détaillés comme des débuts de récits possibles restés sans déve­lop­pe­ment, peut-​être comme nous, épar­pillé, somme d’élé­ments qui s’ad­di­tionnent pour consti­tuer l’en­semble inabouti de nos vies. »
Isabelle Lévesque, « Nos vies inabou­ties », La Nouvelle Quin­zaine litté­raire,
1er-​15 septembre 2017

« Troi­sième recueil de Sofia Quei­ros publié par les élégantes éditions Isabelle Sauvage, Sommes nous semble propo­ser sur un mode ludique une réfu­ta­tion de la théo­rie des pronoms de Benve­niste. Pour le linguiste, qui accorde une valeur essen­tielle au couple je / tu, la troi­sième personne est une non-​personne. Or toute la première partie du texte (“nid ”) présente une alter­nance entre pages de gauche et de droite où première et troi­sième personnes se répondent comme si elles incar­naient des person­nages à l’état inchoa­tif. Se répondent-​elles vrai­ment ? La ques­tion consti­tue un enjeu de la lecture puisque les termes sont parfois repris à l’identique d’une page à l’autre. Et quand ce n’est pas le cas, le lien se fait théma­tique ou plus incer­tain. À ce jeu sur la langue, s’ajoute une dimen­sion que le voca­bu­laire contem­po­rain dirait “genrée” : en effet, la troi­sième personne est bapti­sée “elle” et se méta­mor­phose ou plutôt se dédouble en “il” après quelques frag­ments. Les trois personnes finissent par s’unir : “elle il je partagent la même maison le même lit la même bière…”
La seconde partie, “brins et débris”, obéit à un autre fonc­tion­ne­ment : ce ne sont plus des blocs de quelques lignes, régis par la logique fuyante que j’ai tenté de décrire, mais, sur chaque page, trois strophes de trois lignes commen­çant toujours par “et”. La reprise inces­sante de la conjonc­tion intro­duit un rythme entê­tant qui accom­pagne ces très fugaces évoca­tions de la vie quoti­dienne. L’usage exclu­sif de l’imparfait asso­cié au parti­cipe présent intro­duit l’idée d’une perte, que ce soit celle des sensa­tions, ou d’un certain rapport aux acti­vi­tés simples du quoti­dien. Cette tona­lité est moins mélan­co­lique qu’élégiaque tant il s’agit de célé­brer des frag­ments de présence au monde et d’attention scru­pu­leuse au passage du temps – qui est aussi célé­bra­tion sans emphase des pouvoirs du langage : “et la fille se réci­tait des poèmes verts savou­rant chaque vilain mot comme une friandise…” »
Mathias Lavin, CCP – Cahier critique de poésie, #34 – 5, 9 février 2018