Description
Arabat réunit un ensemble de textes, photographies et dessins et un film en deux parties sur DVD, le tout né de la résidence, en 2018, d’Élodie Claeys et de Caroline Cranskens à Plounéour-Ménez, en plein cœur des monts d’Arrée.
Le titre, signifiant en breton « ne pas » (aussi bien : « interdit », « défense de » — « ça suffit »), est inspiré d’un poème d’Anjela Duval (1905−1981), paysanne et poétesse bretonne dont les artistes auteures se sont nourries tout au long de leur séjour entre deux hivers.
Versant livre sont réunis les regards de Caroline Cranskens et d’Élodie Claeys, à travers textes et photographies, et celui d’Agnès Dubart, qui lors d’un séjour de quelques semaines auprès d’elles a dessiné à l’encre noire les yeux de différentes personnes rencontrées en concluant chaque séance de pose par cette même question : « qu’est-ce que vos yeux aiment voir ? », avant de traduire ces regards intérieurs par la couleur et l’aquarelle.
Versant film, deux parties donc, indépendantes et complémentaires, « à valeur d’ici et d’ailleurs », l’une, Prises de terre, se passant dans les monts d’Arrée, l’autre, Au-Delà de Nous, à travers la France, là où il est question de collectifs, de résistance et de révolte (de Notre-Dame-des-Landes aux ronds-points des gilets jaunes). Caroline Cranskens et Élodie Claeys ont suivi le fil des rencontres pour explorer quelques cellules vivantes parmi une profusion infinie. Au rythme du vent, des clairs-obscurs, du chant du courlis cendré ou des slogans de manifestations, cadrées sur les pieds, les visages ou les mains, les histoires de vies entrent en résonance et en contradiction avec les aspirations et les colères du présent. Comment faire le pont entre les actes et les paroles, les individus et les foules, la nature et la nature humaine ? Arabat est avant tout une vision du collectif en mouvement, de l’entraide possible entre lieux, enracinements, luttes, générations, corps et langages. Parce qu’il est l’heure de se brancher à la terre et à la fois de se relier aux autres, plus que jamais.
Notes de lecture
« Arabat sonne comme un jet de pierres, un entêtement, un cri de rage, un poème de Mahmoud Darwich. […]
Par l’art, sortir du “temps carcéral” (Caroline Cranskens), creuser les blessures sans les laisser nous posséder, aller au réel, politiquement, malgré le “prochain gazage de génération”.
Se battre pied à pied, vers à vers, et prendre le risque des coups de matraque : “Qui étions-nous pour ignorer à ce point la racine du monde ?”
Il faut parier sur la montagne et le bouillonnement du sang, contre les néons, contre le gel des désirs, contre la réduction de l’espace. […]
Élodie Claeys écrit : “Des histoires sauvages poussent sur les talus.”
La voilà qui interroge les noms bretons (Coat Malguen), voit la bruyère sous la brume, avance dans la glaise, s’enracine sans s’accrocher.
Son texte est un abécédaire – Fluides, figures, frontières, fer, feu ; Graine, galette, gravure, gavotte, granit, grenade ; Horizon, humain, harpe –, comme autant d’occasions de penser, de se déplacer, d’accompagner en mots la courbe des jours. […]
Ponctué par des images de manifestations, à Brest, à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, à Pont-de-Buis-lès-Quimerch, où l’usine Nobel Sport fabrique notamment des gaz lacrymogènes, Prises de terre fait entendre les paroles d’habitants de “la zone magnétique des monts d’Arrée”, luthier, paysan, néoruraux, enfant, libraire, couple amoureux, ne distinguant pas entre petit point et grand contexte, travaillant dans la simplicité des jours à faire, selon la belle dichotomie énoncée par Patrick Chamoiseau, du territoire un lieu, c’est-à-dire un espace à la fois dense et ouvert. »
Fabien Ribery, « Arabat, vivre ensemble, ne rien lâcher, par Élodie Claeys, Caroline Cranskens et Agnès Dubart », L’Intervalle, 19 mai 2019« Des images proches et plus lointaines, des lieux connus ou non, des mobilisations sociales et des constructions émancipatrices. Des lieux et des rencontres, un souffle poétique, des personnes et des foules, des résistances et des fenêtres ouvertes vers des possibles plus chaleureux… »
Didier Epsztajn, « Vive éclosion des langues de révolte », Entre les lignes entre les mots, 8 juin 2019« Le film Prises de terre dresse le portrait des habitants de ces lieux où “Les histoires de vie chavirent”, dans cette Bretagne rouge où Macron ne fait que 15% tandis que les 85 autres ne votent pas ou blanc. C’est une autre démocratie à l’œuvre dans son fonctionnement, résolument ancrée dans la vie associative et où l’on fait encore appel aux traditions sans que cela soit perçu comme une rengaine-entrave à la liberté. Une spiritualité. Les uns après les autres, hommes et femmes livrent leur existence sur ces terres expérience d’un monde avec humilité mais aussi optimisme, convaincus de n’être qu’à “l’adolescence de l’humanité”. Indépendant mais complémentaire, le film Au-Delà de Nous réfléchit aux impasses d’un système à bout de souffle. À travers la France, les deux auteures ont donné la voix à tous ceux qui revendiquent “le fait d’être politique et terrestre”, de Notre-Dame-des-Landes aux ronds-points des gilets jaunes ; toute une diversité que l’État tente d’“hygiéniser, d’étiqueter” pour mieux la contenir et l’éteindre.
Dans ce travail littéraire protéiforme la poésie se veut donc engagée. Elle appelle au rassemblement du vivant et de ses forces. Elle tente de solidariser les parcours, les aspirations et appelle au respect du milieu à l’épreuve de son époque. “Au rythme du vent, des clairs-obscurs, du chant du courlis cendré ou des slogans de manifestations, cadrées sur les pieds, les visages ou les mains, les histoires de vies entrent en résonance et en contradiction avec les aspirations et les colères du présent.” La poésie pour éviter le repli, restituer les êtres à eux-mêmes mais aussi les relier les uns aux autres. Autrefois à Lille, désormais à Lisbonne, c’est depuis la terre des monts d’Arrée qu’Élodie Claeys et Caroline Cranskens ont fait cette transition poétique, cet Arabat pour lequel on ne manque pas de leur dire : Trugarez !* »
* « Merci » en breton.
Benoit Colboc, « Même quand perce la douleur », Lundioumardi, 24 juin 2019« “Où commencent, où s’arrêtent une vie, un lieu ? À soi, à sa maison, à sa famille, à sa ville ou à son village, à ses connaissances, à sa région, à son pays, à son monde ou au monde, à l’univers, à l’infini ? Prenons un globe terrestre dans les mains, branchons-le à la place du grille-pain, éteignons la lumière. Faisons tourbillonner la sphère.”
Les monts d’Arrée sont évidemment peu visibles sur celle-ci. Cela n’empêche pas leurs 192 000 hectares d’avoir une longue histoire. Ils appartiennent à l’ancien massif armoricain. Le relief est escarpé. On passe constamment de crêtes en ravins. Décor rude et bosselé. Des gens y vivent, y travaillent. Ce sont eux qui les accueillent dans leur maison ou dans leur ferme ou qu’elles croisent (au Café des brumes, Au Crépuscule (pizzeria) au Huelgoat, lors d’un fest-noz à Saint-Cadou ou dans un café-librairie à Berrien. Tous ont besoin de s’exprimer. Il faut les écouter, les interroger parfois. Ce sont encore eux (et elles) qui les aident à mieux comprendre le quotidien en ces terres rugueuses, à la mémoire ancestrale, où montagnes râpées, roches branlantes, chicots de schistes, marais et landes dessinent un paysage qui paraît hors du temps. »
Jacques Josse, Blogspot.com, 1er juillet 2019